e - UNE PROTECTION POUR LE PERE

Mais ce tableau représentatif tourne court. Cette vie avec le père, à une place imaginairement similaire à celle de la mère (le principe d’une somme d’argent pour la journée…), ne lui parait ni satisfaisante, ni vraiment suffisante, elle apporte de l’ennui, une envie indéfinissable d’autre chose, une absence d’alternative à ce rapproché avec lui. Mais est-ce la proximité entre le propos stigmatisant l’infidélité de la mère et ce que j’entends comme un « exil » du père ? Toujours est-il que je trouve nécessaire de réinterroger le contexte familial de l’époque…

Q - C’était un moment où ça se passait mal avec vos frères ?

- Un peu oui… J’avais pas d’école, et mon père voulait pas aller en Tunisie tout seul. Ça allait mal déjà avec ma mère… enfin… tout allait mal, quoi ! Mais c’est vrai que j’étais contente de partir là-bas. Je pensais que ça serait comme des vacances, moi…

Q - Alors peut-être une façon pour votre père de vous offrir des vacances surveillées…

- Ouais ben j’en avais marre à la fin… Mais il ne me surveillait pas, hein ? C’est plutôt moi qui m’occupais de lui !

Q - On peut penser que lui, il voulait vous éloigner de votre famille où il se passait plusieurs choses difficiles à accepter…

- Oui, aussi… Mais une autre fois, j’étais avec mon père à la maison, je me souviens, l’année d’avant, ma mère était partie en Tunisie, là, je sortais pas. Je me mettais dans une couverture, devant la télé, et j’attendais qu’il rentre. Je lui préparais un petit quelque chose à manger, il arrivait, il me demandait "t’es pas sortie ? Sors un peu…" Moi j’étais bien, j’avais pas envie d’aller dehors, j’avais tout à la maison. Je faisais le ménage dans le couloir et ma chambre à fond, et j’attendais.

Là c’est le père qui paraît insatisfait par la « vie commune » avec sa fille, et je pointe à l’occasion de ce deuxième souvenir que ce monsieur souhaite une nouvelle fois que sa fille sorte (sans que je sache bien quoi faire de cette information). Et tout autant que dans le souvenir de Tunisie, c’est dans les représentations de Déhbia l’expérience de la passivité et du vide d’investissement qui caractérisent cette intimité avec le père. Mais j’entends aussi dans ces derniers propos le souvenir d’une situation non excitante au domicile familial, à l’inverse de ce que Déhbia semble y avoir vécu habituellement.

Q - Bien sûr, c’est avec votre père, donc c’est pas pareil, mais je me demande quand vous dites tout ça si vous rêvez pas déjà un peu à la tranquillité que vous pourriez avoir plus tard si vous vivez avec quelqu’un.

- Je l’ai dit à mon père. Je voudrais un mari comme toi. Il m’a répondu que c’était dur à trouver, que les garçons maintenant, ils cherchent qu’à profiter.

Cette dernière réplique me frappe par sa connotation œdipienne (d’ailleurs autant du côté de la demande de Déhbia que de la réponse que cette jeune fille en rapporte), et le fait même qu’elle puisse être transmise aussi clairement me donne à penser qu’elle ne participe pas de ce registre inconscient. Et c’est plutôt la dimension de protection émaillant les propos de Déhbia au sujet de son père qui m’apparaît dans ce propos (un mari qui protège des excitations extérieures, comme le père à Monastir ou seule à la maison, et ainsi un mari rassurant, plutôt froid, allant jusqu’à pousser Déhbia à sortir…).