II - 3 - 3 - Deuxième entretien

a - LA VIOLENCE PHYSIQUE DES FRERES

Q - La dernière fois, vous avez beaucoup parlé de vos parents, alors que le problème qui vous a fait partir de chez vous, c’est plutôt les problèmes de violence avec vos frères, et je me demandais ce que ça voulait dire…

- On s’entend pas, et ils tapent, trop. C’est pour un oui ou pour un non. Mais toujours c’est pour que je fasse ou que je fasse pas quelque chose. Faire le ménage, ou leur servir à manger, aller acheter quelque chose, pas sortir dans la rue, ils ont toujours voulu s’occuper de tout. Après quand j’ai commencé à dire non, ils criaient et tapaient. Mais je sortais quand même !

Q - Mais vous n’aviez pas envie d’en parler la semaine dernière ?

- Oh mais si ! Je vous l’avais dit ! Mais c’est vrai que c’est ma mère qui m’énerve surtout, maintenant… Je crois que ça vient d’elle, un peu. Personne arrête rien chez moi. C’est la loi du plus fort, surtout depuis que mon père est plus là. Déjà avant, ça tapait, mais maintenant, elle est d’accord avec tout, alors ils en profitent…

Q - Mais au début, votre mère, vous disiez qu’elle vous avait accompagnée à l’hôpital, tout ça, et ça m’a surpris que vous fassiez après ces critiques sur elle…

- Oh mais elle est venue parce que je lui ai demandé, hein ! Elle voulait pas, au début… Elle disait que j’avais pas été la chercher pour euh… euh… Et pour mes frères elle ferait tout ce qu’ils lui demandent, c’est pas normal… Et puis elle a même pas pris de mes nouvelles après, vous savez…

Je me rends compte à ce moment de l’entretien que nous avons repris le thème des parents, en commençant par la critique en direction de la mère, et j’observe que ce sont mes questions qui orientent décidément Déhbia sur ces sujets. En fait, c’est comme si je ne pouvais m’empêcher de l’interroger sur sa mère (ai-je l’impression que cette adolescente, au-delà de ses propos négatifs, est triste de cette absence ?), ou d’éviter le thème des affrontements avec ses frères (mon sentiment est peut-être que d’évoquer l’ambiance de coups peut représenter une attaque supplémentaire pour celle qui m’apparaît toujours comme une fragile jeune fille)…

Q - Et le fait que vos frères vous tapent, il y a longtemps que c’est comme ça chez vous ?

- Depuis que j’ai onze douze ans, le collège, tout ça. Avant, ils me calculaient pas, c’était ma sœur qui prenait.

Q - Et vous savez pourquoi ils font ça ?

- C’est des arriérés. Ils se croient au bled ! Non, je sais. C’est parce que si leur sœur elle sort, ça va parler dans le quartier. Ils croient qu’ils pourront plus rien faire si ils peuvent pas tenir leur sœur à la maison…

Q - Et il n’y a pas des moments où ils le font moins ?

- C’est pire depuis que Farida elle est partie ! Je crois bien qu’ils se vengent sur moi. Ils ont peur que je fasse pareil, que je parte et tout ça, la plainte…

Observons ici un élément concernant cette situation familiale. Déhbia, en tant que fille, représente pour ses frères un moyen de maintenir leur prestige masculin dans leur environnement social, cette domination sur leurs sœurs présentifiant une dimension culturelle.

Mais au-delà de cet élément contextuel, j’observe que c’est du côté du faire que s’engagent les représentations de cette jeune fille au sujet des coups. L’idée du contrôle de ses activités ou de la maîtrise de son corps dans le but de l’instrumentaliser est pour elle l’objectif premier de ces intimidations physiques. Et en retour ne s’agit-il pas pour eux d’un bénéfice de « pouvoir faire » qui serait visé, puissance et contrôle anal paraissant ainsi organiser cette économie de pression et de rétorsion ?