b - DES REACTIONS DIFFERENCIEES

Et dans le silence qui s’installe après sa dernière réponse, je dois faire un effort pour sortir d’une représentation dans laquelle Déhbia est totalement passive, par opposition à des frères qui n’arrêtent pas de faire (faire violence, faire les durs, faire la loi, faire faire à leurs sœurs…). C’est d’ailleurs cette réflexion qui me permet de reprendre ainsi l’échange :

Q - Vous faisiez quoi dans ces moments-là ?

- Le grand je lui dis, occupe-toi de ta vie, laisse-moi tranquille, j’suis grande maintenant. Mais on dirait que ça l’énerve encore plus. Amin et Akim, je réponds plutôt en tapant. Quand un me tapait, je répondais par des coups. Je crois que c’est ça qui les a arrêtés. J’avais pas le dessus, mais je m’arrêtais pas. J’avais pas peur.

Q - Et qui est-ce qui arrêtait ces bagarres ?

- Ouais quelqu’un qui se mettait au milieu, un autre frère ou ma sœur qui criait d’arrêter. Des fois une voisine qui était par là. De toute façon le soir mon père nous engueulait. C’est pas bientôt fini de vous taper dessus ?!

Q - Et après ces bagarres, vous en pensiez quoi vous ?

Ben des fois j’avais mal, les bleus quoi, mais souvent j’étais soulagée. Y fallait qu’ça tombe, c’était fait, j’étais moins énervée après. Sauf des fois où j’avais mal longtemps et que j’osais pas le dire. Avec Amin et Akim, ça nous arrivait même de rigoler après. Mais pour Hacène, le plus grand, je… j’ai peur… et je me sens coincée…

Ici, Déhbia fait une grimace que j’interpréterais comme une grimace de dégoût (une défense contre la dimension anale de cette violence physique), et son débit verbal se ralentit pendant quelques instants, comme si elle n’arrivait plus à s’exprimer de manière très claire.

- C’est vrai… j’ose pas répondre… j’ai l’impression que… c’est pas pareil… Quand je suis devant lui, je… je… je cherche qu’à partir. J’arrive pas à me défendre. J’aimerais tellement qu’il… euh… me laisse tranquille… Oui… que ça s’arrête et que je puisse vivre tranquillement !

Soulignons ici une nuance entre les différentes évocations que Déhbia fait de ces violences physiques, selon que celles-ci proviennent de son frère aîné ou d’autres éléments de sa fratrie. Notons aussi que les coups venant de ses deux frères de 20 ans donnent lieu à des effets que nous pourrions presque qualifier de ludiques pour Déhbia, laquelle paraît tirer un certain plaisir à se mesurer à ces jeux de garçons. D’ailleurs le père ne s’y trompe pas qui les renvoie dos-à-dos dans les reproches du soir.