e - UNE FIN D’ENTRETIEN QUI TRADUIT UN DOUTE

Q - Ah bon ? Et qu’est-ce qui s’est passé ?

- C’est avec mon frère aîné que ça avait repris, à cause de Salah. Lui il voulait pas, ils se connaissent bien, avant ils étaient ensemble des fois. C’est parce qu’il est marocain. Il dit que les marocains, ils sont doubles. Je lui ai demandé si il y avait un problème pour Salah lui-même. Je lui ai dit dis-moi, comme ça s’il y a quelque chose que je sais pas je saurai. Il m’a dit non, Salah il parle mal sur nous, les frères tout ça. J’ai pensé que mon frère il avait raison peut-être, que c’était bien qu’il m’empêche, mais il me dit pas pourquoi, alors qu’est-ce que je peux faire moi ?

Q - Ce que vous avez fait… En parler à vos parents, à des adultes…

- Oui, mais ça sert à quoi ? J’ai vu ma mère à la maison. Elle m’a dit de revenir. Je lui ai dit je veux bien mais l’autre, faut qu’il s’arrête… C’est vrai, avec ma mère depuis que je suis là ça va mieux. Mais si ça doit recommencer pareil, ça aura servi à rien hein ?

Q - Ça aura servi à calmer les choses, à réfléchir… Pour tout le monde… Mais c’est vrai que vous êtes ici pour un mois et qu’il vaut mieux aller au bout de la décision que la Juge a pris pour vous aider. Vous pourrez décider dans deux semaines. En attendant, votre place elle est ici…

- Oh ben mes frères l’autre jour ils m’ont dit que j’avais rien à faire à la maison, que j’ai voulu partir, tout ça… Mais c’est ma mère, et je peux pas la voir au foyer quand même !

Q - Elle vous manque maintenant ? Je sens quelque chose comme ça chez vous…

- Un peu, ça dépend. Et puis elle, elle voudrait bien que je rentre. Si elle pouvait, je crois qu’elle l’empêcherait, mais elle est comme moi elle y peut rien. Il est comme ça, il écoute personne. Mais c’est vrai que j’aimerais bien la voir plus souvent. Puis c’est aussi la vie au foyer… C’est dur, quoi ! Les heures de rentrée, tout ça…

Q - Vous vous sentez moins libre que chez votre mère ?

- C’est pas pareil… Chez moi, des fois je pouvais pas sortir du tout, à cause de mes frères, si ils tapaient leur crise… d’autre fois, c’est vrai que je rentrais plus tard qu’ici.

Q - Alors au moins, ici, vous savez ce que vous pouvez faire. C’est prévu, et vous êtes sûre de pas vous faire disputer si vous respectez la règle…

- Oh mais j’y arrive pas à chaque fois ! C’est ça aussi qui va pas… C’est comme hier… Je voulais rentrer à l’heure, mais Salah il est sorti de son stage en retard. Lui il me disait : «mais vas-y, tu vas te faire tuer ! Pourquoi tu retournes pas au foyer ? Si ils te virent, tu sauras pas où aller». Moi, je crois qu’il a raison, mais j’y arrive pas. Encore cinq minutes, encore cinq minutes… Je le savais, j’allais me faire engueuler, mais je crois que c’est plus fort que moi. Après je me dis : me faire engueuler, c’était rien, j’ai eu du temps en plus ! Mais en rentrant je suis mal, j’essaie de pas me faire voir… J’ai la technique !

Q - Et qu’est-ce qui est plus fort que vous ?

- Ben de faire une connerie comme ça. C’est comme mon frère ; il me dit souvent : c’est de ta faute, t’as envie, tu cherches, tu cherches…

Q - Et vous y croyez, à ça ?

- Des fois, oui. Mais des fois j’en ai marre. Enfin j’sais pas. Comme avec Salah en fait. Je le fais quand même exprès, c’est vrai. Même avec mes frères, des fois j’y repensais après, ça me faisait rire, même si on s’était battus pour de bon !!

Q - Rire ?

- Ouais… Comme trop énervée, quoi…

Q - Comme pour laisser sortir la tension, alors ?

- Oui, comme ça. Mieux tranquille après.

Q - Mais cette tension, c’est pas la vôtre… C’est celle qu’il y a autour de vous à la maison ?

- Comment ça ?

Q - Eh bien, je veux dire que la violence dans votre famille, elle vous fait ressentir cet énervement presque tout le temps. Mais de vous-même, vous seriez moins énervée, vous ne penseriez pas à tout ça…

- Ben non, ici, il n’y a pas mes frères, et c’est bien pareil… Non, je vous dis, c’est mieux que je rentre peut-être.

Q - Vous avez encore le temps d’y penser. Mais peut-être que vous pourriez réfléchir que vous ressentez cette tension, cet énervement, mais que vous en avez pas envie, le contraire de ce que dit votre frère aîné ?… On s’arrête là pour aujourd’hui ?

- D’accord.