d - SON SENTIMENT DE DEVENIR COMME SA MERE

L’image maternelle est d’ailleurs très présente dans les évocations de Déhbia concernant l’idée de l’agressivité agie puisqu’elle met ensuite en question ses propres attitudes vis-à-vis de son petit ami, exprimant ainsi son ambivalence : "Je sais pas pourquoi, quand je suis avec Salah, je l’embête pour rien, je le rends jaloux. Si il y a un autre garçon, je veux qu’il me regarde, pas plus hein ! Et Salah, je vais l’énerver, lui crier dessus, dire non à ce qu’il dit, comme ça, pour rien. Je crois que je deviens comme ma mère. Ça m’embête. Q - Pourquoi comme votre mère ? - A cause de le rendre jaloux, de l’embêter pour rien. Il le mérite pas. Il est gentil Salah."

Ce que dit Déhbia ici avec un grand sourire, c’est, d’abord, qu’elle provoque son ami, puis qu’elle voit en sa mère quelqu’un qui recherche habituellement le conflit, et enfin que sa ressemblance avec celle-ci la questionne. Au-delà du fait que ce "Je crois que je deviens comme ma mère" témoigne à nouveau de la relation symbiotique, notons qu’une similarité apparaît dans l’installation d’une relation (modérément) agressive avec Salah, ce que Déhbia connaît déjà sur un mode plus heurté avec ses frères jumeaux.

Ceci laisse supposer qu’à travers ses échanges avec son ami est en jeu pour elle, non pas le souhait d’être frappée à nouveau, mais de retrouver le contexte émotionnel de ses expériences d’affrontements familiaux. Et il faut noter que, même en considérant les dimensions de séduction et de jeu qui se dessinent dans cette évocation de sa relation avec Salah (les bagarres interminables avec les jumeaux présentaient déjà ce caractère ludique), Déhbia avance pour la première fois un propos ou une attitude dans lequel cette dimension de recherche d’excitations apparaîtrait (ce qui se répétera plus tard lorsque Déhbia décrit ses retours tardifs au foyer : "Je le savais, j’allais me faire engueuler, mais je crois que c’est plus fort que moi").

Ici, l’attitude de Déhbia a manifestement pour but d’introduire une tension entre elle et son environnement immédiat. Se dévoile dans ce trait de comportement la nécessité de vivre une certaine quantité d’excitations psychiques dans la relation avec un autre, représentant a minima un autre familial, ce qui semble être le cas de son ami, assez proche en fait de l’image de ses frères. L’hypothèse serait que ce quantum d’excitations est seul garant d’un lien narcissisant avec l’objet maternel dans le contexte d’une organisation familiale construite autour d’une figure maternelle qui ne contient pas ses mouvements affectifs, pas plus qu’elle ne limite l’expression pulsionnelle d’autrui.