e - LA DIFFICULTE DE DEHBIA DE SOUTENIR UNE DIFFERENCIATION

Mais que dire encore de la comparaison que Déhbia fait entre elle et sa mère à la fin de son propos ? Cette jeune fille se voit opter pour sa mère comme modèle de comportement lorsqu’elle est avec Salah, et c’est cela qu’elle vit comme « embêtant ». Soulignons que le plaisir manifeste de Déhbia à se souvenir de ces scènes laisse penser qu’elle ne fait pas que trouver cela « embêtant », et que son auto-observation manifeste en même temps, à un niveau plus structurel, sa satisfaction de retrouver sa mère en elle.

Toutefois ce mouvement se heurte au fait que cette identification lui fait éprouver une rivalité avec sa mère. Ici, dans ce "ça m’embête", Déhbia rencontre la culpabilité consécutive à un désir d’identification à la mère sadique, imago maternelle que nous avons relevée dans ses représentations de scène primitive. Présentons cette économie relationnelle de la manière suivante : Déhbia, qui cherche à installer avec son petit ami une agressivité qui la rassure, voit réapparaître l’attaque maternelle à l’encontre du père, ce qui la renvoie à une telle rivalité.

Or le maniement de cette image à un niveau œdipien supposerait l’agression de tels objets parentaux, et, M. EMMANUELLI le rappelle dans un texte que nous avons déjà cité, « leur dévalorisation » [1994, p282]. Evoquant la période de 16-18 ans, celle-ci ajoute : « ... pour les adolescents en échec de cette tranche d’âge : le conflit œdipien réveille en eux une insupportable angoisse de perte d’objet, si bien qu’il opère sur leurs assises narcissiques fragiles un ébranlement dramatique. » [Ibid.]

C’est cette angoisse qui semble progressivement envahir Déhbia durant l’avancée de son séjour, l’attaque de la mère étant marquée d’un enjeu œdipien trop lourd à porter. Nous avancerons que cette jeune fille montre ainsi au cours du placement une difficulté dans le travail de transformation de l’objet maternel, difficulté qui apparaît clairement dans l’avant-dernier entretien :  "J’ai vu ma mère à la maison. Elle m’a dit de revenir. je lui ai dit je veux bien mais l’autre, faut qu’il s’arrête… C’est vrai avec ma mère depuis que je suis là ça va mieux ","Mais une mère on n’en a qu’une, je peux pas la voir au foyer quand même !""Elle, elle voudrait bien que je rentre. Si elle pouvait, je crois qu’elle l’empêcherait, mais elle est comme moi elle y peut rien."

Ainsi le rapport de Déhbia à l’objet maternel, qui se représentait d’abord dans sa nature critique et conflictuelle, est qualifié tout autrement dans la seconde phase du placement. Notons que l’image que Déhbia donne de sa mère ici correspond davantage à ce que notre rencontre avec cette dernière nous avait permis d’évaluer de ses difficultés de se séparer de sa fille.