g - IMAGE PATERNELLE ET GESTION DES EXCITATIONS

Toutefois cette première reprise du matériel amené par Déhbia serait incomplète si nous n’évoquions pas ses représentations de l’objet paternel, et leur fonction dans l’économie libidinale et agressive de la famille : "Je me mettais dans une couverture, devant la télé, et j’attendais qu’il rentre. Je lui préparais un petit quelque chose à manger, il arrivait, il me demandait « t’es pas sortie ? Sors un peu… » Moi j’étais bien, j’avais pas envie d’aller dehors, j’avais tout à la maison. Je faisais le ménage dans le couloir et ma chambre à fond, et j’attendais."

On observera ici la fonction de pare-excitation que Déhbia attribue à l’image paternelle, la représentation « dans une vie à deux, une fille attend son père sans anxiété » s’opposant au débordement pulsionnel rencontré dans la désorganisation maternelle et la violence physique des frères.

Car l’image paternelle apparaît en contraste des autres figures familiales : le père n’insulte personne, ne demande rien, n’interdit pas de sortir, et ne frappe pas, ou si peu : "Mon père il m’a jamais tapée, enfin, des petites claques, rien quoi. Pour des bêtises, il avait raison. Les dernières fois j’avais quinze ans pas plus. Il aime pas la violence mon père", "Mon frère Amin il s’excuse tout le temps quand il a tapé, qu’il ait tort ou raison, il s’excuse. Ça change la situation. Mon père il aime pas taper mes frères. C’est qu’ils sont grands maintenant, c’est compliqué. Q- Il les considère comme des adultes ? - Oui, et il sait pas ce que ça peut faire. C’est pas qu’il en a peur, mais il le fait pas." Ainsi Déhbia décrit son père comme un peu brutal, et seulement… avec les petits. Conserver un point de vue positif sur son père suppose alors quelques rationalisations (il la tapait, elle, pour de bonnes raisons ; de toute façon son frère s’excuse par avance ; les aînés sont trop grands maintenant…).

Nous retrouvons ici la différenciation déjà donnée par nos vignettes cliniques dans notre introduction : gifler, c’est pas forcément taper… Les coups du père sont de ceux qui n’altèrent pas le lien à l’objet, la visée éducative de ces "petites claques" paraissant comprise par Déhbia, et intégrée à la dimension de réassurance que ce père représente pour elle face à la « vraie » violence du frère aîné.

Et quelle que soit l’adaptation paternelle à la tension ambiante, ce monsieur apparaît jusque-là dans les représentations de cette jeune fille comme une anti-mère, face à ce que l’objet maternel représente d’excès et d’insécurité. Là où la mère est égoïste, le père apaise la situation ; là où la mère paraît organiser les exactions des frères, le père évite d’agir lui-même son agressivité contre eux.