i - L’EMPECHEMENT D’UN VA ET VIENT ADOLESCENT

Nous avons dit que la position prise par Déhbia aux côtés de son père témoignait de sa volonté de se défendre contre ce que les brutalités du frère aîné amènent comme insécurité et risque d’emprise. Nous avons écrit aussi que la recherche de système pare-excitation de Déhbia était liée à ce que l’imago maternelle anale-phallique représentait d’anxiogène pour cette jeune fille, alors même que cette imago protège d’une imago archaïque pouvant précisément surgir des fantasmes consécutifs à la protection paternelle.

Cette organisation, dont nous observons bien évidemment la circularité, semble empêcher Déhbia d’occuper alternativement chacune des deux positions psychiques possibles à ce moment de la vie. L’une, progrédiante, est constituée par l’assomption relative des caractéristiques de la génitalité pubertaire et passe par des essais d’autonomie. L’autre est régrédiante et se définit par la mise en latence des éléments précédents lorsqu’ils deviennent trop difficiles à assumer, trop « chauds ». C’est un va-et-vient entre ces deux positions qui nous semble définir le mieux la dynamique psychique universelle chez toute adolescente, laquelle se comporte parfois comme une « grande », et parfois comme une « petite ».

Pour Déhbia, l’opportunité d’occuper une position adolescente, « haute » dans cette alternative, se trouve contaminée par la violence physique du frère, violence qui fait conjoindre transformations physiologiques pubertaires et débordement anal. Peu de choses de la féminité ne paraissent intégrables dans ces conditions, et la sexualité adulte ne peut visiblement se problématiser pour cette jeune fille, principalement rendue à l’investissement de la sexualité infantile et des positions intersubjectives de l’enfance.

Ainsi son mouvementde séparation d’avec l’objet maternel lui fait-il rejoindre des attitudes ludiques avec ses frères jumeaux (même si ces bagarres suscitent sans doute finalement la confusion qu’elles sont censées éviter), et son souhait d’apaisement lui fait installer, notamment avec son père, une tendresse détachée de la sensualité. Et c’est jusqu’à sa présentation personnelle (nous avions noté chez cette jeune fille un aspects inhibé et immature) qui renvoie finalement à une mise en latence (une fillette seule et tranquille aux côtés de son père, qu’elle ne conteste pas pour l’insécurité familiale…) à visée anti-traumatique et anti-conflictuelle.

Mais cette position de repli a peut-être été trop permanente pour que Déhbia puisse, à un moment, supporter plus longtemps l’autre emprise (liée au père) qu’elle symbolise. Nous comprendrons la demande de placement de cette jeune fille comme une tentative de rejoindre cette autre position adolescente à laquelle nous faisions allusion, marquée d’assomption de l’autonomie et du refus de la seule sexualité infantile. Cette tentative correspondrait pour Déhbia à l’introjection d’une réceptivité et d’une intériorité qui ne seraient pas connotées par la violence familiale et la disqualification de la féminité qui en résulte. Le fait que cette jeune fille ait sollicité un éloignement à une époque marquée par sa grossesse peut être interprété en ce sens.

Toutefois ce mouvement d’émancipation a manifestement tourné court pendant son placement. Etait-il si installé d’ailleurs chez cette jeune fille qui a débuté ce séjour en retournant chez elle pour une visite qu’elle rapporte à travers l’absence désolante de sa mère ?