k - LE POINT SUR NOTRE PROBLEMATIQUE

Est-ce cette indistinction qui s’exprime dans le fait que Déhbia met peu en avant dans ses propos un vécu corporel ? Nous ne trouvons pas en effet d’évocation du corps propre, sinon assez allusivement lorsqu’elle rappelle les raisons de son hospitalisation, ce qu’elle fait précisément en signalant l’accompagnement maternel… Ainsi la question des représentations de la violence, qui est une de nos interrogations principales au sujet de ces jeunes filles battues, trouve ici une réponse dans le contexte imagoïque maternel qui s’attache à ces débordements pulsionnels. Il y a bien chez Déhbia un fantasme qui signe son mode incorporatif, fantasme dans lequel la violence physique du frère aîné est un élément de la relation symbiotique de cette adolescente avec sa mère. Ce fantasme signe un état du corps, non verbalisé par Déhbia, corps attaché à sa mère, corps ramené à cette origine par les assignations physiques du frère aîné, corps de jeune fille en difficulté d’accession à une féminité génitale.

N. ABRAHAM et M. TOROK avancent que l’incorporation est présente en raison de « la réalité d’une perte subie par le psychisme. Cette perte, si elle était entérinée, imposerait un remaniement profond. Le fantasme d’incorporation prétend réaliser cela de façon magique, en accomplissant au propre ce qui n’a de sens qu’au figuré. C’est pour ne pas « avaler » la perte, qu’on imagine d’avaler, d’avoir avalé, ce qui est perdu… » [1972, p112]. La présence maternelle, dont l’adolescence conteste la nécessité, ne paraît ni facile à perdre pour Déhbia, ni se laisser facilement perdre non plus. Cette jeune fille « avale » la manière pulsionnelle d’être de l’objet maternel, polysémiquement accroché àDéhbia, par la violence qui la réduit et la plainte qui la noue à sa mère. Certains éléments témoignent de cette incorporation, ainsi l’emprise décrite dans le face à face avec son frère, le matériel identificatoire qui surgit dans sa relation avec son ami, et ses manquements compulsifs au règlement de l’établissement.

Précisons pour terminer que notre suite d’entretiens avec Déhbia fait ainsi apparaître un mouvement d’ensemble, et ceci davantage que ne le faisaient les deux situations précédentes. Ce qui est d’abord apparu comme un souhait de différenciation de la part de cette adolescente, une tentative d’introjection de ce qui s’est donné à un moment comme une violence fantasmatique, s’est progressivement transformé en une expression de la difficulté de séparation avec la mère, accompagnée d’un désinvestissement des représentations de violence. Ce mouvement a fait progressivement réapparaître l’identification à la mère, correspondant à l’intensificationde la confusion évoquée supra.