b - UN ECHANGE DE REPRESENTATIONS

Q - Voilà. Je pense qu’on vous a dit que nous nous rencontrions une fois par semaine. Je vous donnerai des rendez-vous d’une fois sur l’autre. Alors on peut parler ici de ce que vous choisirez, peut-être par rapport à votre situation, peut-être par rapport à vous, de ce que vous sentez en vous, par rapport à la violence dont vous avez parlé l’autre fois, par exemple. Vous pouvez aussi dire ce qui se passe pour vous à l’appartement d’accueil, avec les autres personnes, les jeunes, les gens de l’équipe. Moi je n’interviens pas à cet endroit-là. Je peux parler des choses avec vous, mais je peux pas faire quelque chose pour vous s’il y a des problèmes à l’appartement. Ça c’est le travail de l’équipe éducative. Je dois ajouter que comme vous êtes majeure, on ne rencontrera vos parents que si ça vous paraît intéressant de…

- Houlà non hé !! Je veux pas, moi ! C’est pas pour rien que je suis partie, hein, et moi je remettrai jamais les pieds là-bas… Et puis ils viendraient pas même si vous leur demandiez. Et puis je veux pas me faire tuer, moi !

Q - C’était une idée comme ça… réfléchissez-y.

- Oui ben non !

Ce refus catégorique, qui inclut dans sa forme de manière presque comique le passage immédiat du oui au non, résonne à ce moment-là pour moi comme un aller-retour. Je saisis alors qu’après la représentation de nous dans sa famille (une représentation qui protège) se propose à cette jeune fille un autre tableau, ses parents dans l’établissement (une représentation qui menace), ce qui peut être entendu comme un mouvement de symétrie assez insécurisant en fin de compte, au moins en tant que première proposition de ma part.

J’observe aussi que sa réponse inclut une forme de triple contradiction, sur le modèle du « chaudron », cité par FREUD dans « Le mot d’esprit et sa relation à l’inconscient » 30 . J’entends en effet « c’est parce que je ne veux plus les voir qu’ils ne doivent pas venir », puis « ils ne viendront pas parce que c’est eux qui ne veulent plus me voir », enfin « ils viendront non pas pour me voir mais pour m’agresser »… De ce fait, Seher déploie à mon sens son ingéniosité pour mettre en représentation un désir inconscient de retrouver un contact avec ses parents.

Q - C’est vrai qu’on vous avait rencontrée il y a deux ans. Je ne sais plus comment les choses s’étaient passées ensuite… Vous deviez venir ou pas ?

- Au début oui. Quand j’ai vu avec l’assistante, elle me conseillait de venir ici, pour faire le point, voir comment c’était un foyer… Mais après ça a mieux été chez moi. J’ai cru que ça resterait comme ça, qu’ils s’étaient calmés, tous. Mais après ça a été pareil qu’avant. J’ai bien vu que j’aurais dû partir. Mais j’ai pas tellement osé aller la voir, et puis c’était pas toujours terrible, hein ? Des fois ça tapait pas tellement, même…

J’entends ce propos de Seher comme une justification du fait d’être restée chez ses parents après notre rencontre de l’époque. S’agit-il d’une rationalisation qui limite la culpabilité liée au fait d’avoir implicitement refusé notre proposition, qu’elle pouvait vivre comme directive, ou qui atténue la honte de se révéler victime active de la violence, dont elle pouvait prévoir qu’elle s’abattrait sur elle après son retour ?

Notes
30.

cf. FREUD (S), 1905c, "Le mot d’esprit et sa relation à l’inconscient", notamment les pages 131 à 134, et 360 à 364.