c - UN SOUHAIT D’APAISEMENT

Q - Peut-être que vos parents, à ce moment-là, ont été au courant de votre démarche vers l’assistante sociale et ici… Ça a changé les choses un peu ?

- Houlà non ! J’avais rien dit. J’avais juste peur qu’au collège ils leur disent. Mais non. Ils l’ont pas su… Mais là, je suis pas partie par l’assistante. Je suis partie d’un coup. Ça a encore craqué chez moi ! C’est mon petit frère. Il a été dire à ma mère qu’il m’avait vue dans la rue avec mon copain ! Après c’est parti en live 31 . J’en ai eu marre. C’est que j’ai dix-huit ans maintenant ! Je suis allé chez une copine de ma classe. Je suis restée un mois, le temps de m’occuper de voir la Juge et les éducateurs au palais de justice, tout ça. Mais je pouvais pas rester. Ça me gênait de rester comme ça chez elle. Je me voyais pas m’incruster encore longtemps.

Q - Vous avez essayé d’avoir des contacts avec vos parents depuis votre départ ?

- Une semaine après, j’ai appelé chez moi. C’est ma mère qui a répondu. Elle m’a dit « tu rentres tout de suite ». J’ai dit « mais vous allez me taper si je rentre ? », elle a répondu que j’avais pas à parler comme ça… « Qu’est-ce que tu crois ? Dans une heure au maximum t’es rentrée, sinon on va te chercher et là, ça sera pire ». J’ai rappelé une deuxième fois après. Ma mère pleurait au téléphone, « ça fait deux semaines que t’es partie, ta place elle est là, reviens ». Moi je pleurais aussi, je pouvais plus rien dire. C’est la dame chez qui j’étais qui a raccroché. Elle a eu peur que je dise où j’étais.

Q- Vous auriez pu le dire à ce moment-là ?

- Sûrement pas. Si je fais ça, je suis morte.

Q- Qu’est-ce que vous auriez aimé qu’il se passe dans vos appels téléphoniques chez vous ?

- Que ma mère me dise de venir et qu’on ait une vraie discussion tranquille. On serait assises autour d’une table [Seher image d’un geste une table basse devant elle], et je pourrais dire tout ce que je pense…

Ce que Seher dit ici, c’est qu’elle est prête à passer sur cette violence subie, à condition de pouvoir la parler… avec sa mère notamment. C’est au moins le sens énoncé de ses appels téléphoniques. Etre accueillie par sa mère comme une personne respectable, que l’on reçoit au salon et avec laquelle on discute reste un rêve pour Seher.

Mais cette représentation de convivialité vient aussi après avoir évoqué une conversation téléphonique dans laquelle Seher se vit comme faisant pleurer sa mère, et la culpabilité est peut-être pour beaucoup dans ce rêve de sociabilité réparatrice

Notes
31.

Prononcé à l’anglaise [laïv], signifie à l’origine "en direct", "en vrai", comme on dit d’une musique qu’elle est enregistrée "en direct", lors d’un concert. Ici, "partir en live" signifie que plus personne ne contrôle rien, comme en pleine improvisation.