e - UNE TRANSMISSION GENERATIONNELLE

Tentant d’avancer sur cette incompréhension, je propose à Seher, par une question assez générale, de réfléchir à une donnée objective de la situation :

Q- Dans l’idée de vos parents, les garçons et les filles c’est peut-être très différent ?

- Ah ça c’est sûr ! Mes frères ils ont le droit de tout faire ! Comme le petit, là ! En Turquie les femmes elles ont aucun droit, même pas de choisir leur mari…

Q- Et est-ce qu’on peut dire que vos parents étaient contents d’avoir votre sœur comme premier enfant, et qu’ensuite une autre fille ça a pas été pareil ?

- Oh oui ! Ma mère elle me l’a toujours dit, « tu devrais être un garçon », elle attendait un garçon. Elle voulait en premier une fille et un garçon, ou un garçon et une fille. Et moi, je suis arrivée… Mais pour ma mère ça a été la même chose. Elle a été battue, elle aussi. Elle avait une sœur avant elle, adorée par ses parents, et une autre plus jeune. Celle-ci ils l’aimaient tellement qu’ils ne voulaient même pas qu’elle se marie ! Ma mère, « le premier venu tu te tires ! » Elle avait treize ans à l’époque, mais sa mère lui a changé ses papiers pour faire croire qu’elle avait quinze ans. C’est l’âge pour se marier, avant on n’a pas le droit. Ma mère a été mariée à quelqu’un qui était déjà en France. Elle est partie loin de chez elle, dans un sens ça l’a arrangée.

Je note que Seher parle ici de son père, sans le nommer comme tel, et qu’elle n’a fait aucune allusion spontanée à lui durant cet entretien, notamment au sujet de ses propres attitudes face à la violence.

Q - Mais votre père, il est à la maison ?

- Noooon, il est jamais là, il dit rien. Il est d’accord avec elle de toute façon. C’est ma mère qui s’occupe de nous, il travaille beaucoup, en plus.

Q - Il doit quand même être au courant de ce qui se passe, ils doivent en parler ensemble…

- Bof, elle lui dit pas tout. Les conneries de mes frères, elle va pas lui dire, vous savez… C’est comme ça les mères chez nous. Elles arrangent les choses. A la maison c’est elles qui décident. De toute façon mon père il y pourrait rien… Cette histoire de taper ça doit passer d’une mère à l’autre… En tout cas moi, je ferai pas ça à mes filles. Elles feront pas n’importe quoi, je les empêcherai, mais je vois pas pourquoi je les taperais…

On notera que ma tentative de faire exister un couple parental n’est guère couronnée de succès. Cette jeune fille semble tenir à cette filiation féminine, travailler l’image d’une mère seule (comme dans son idée que, si elle était seule, sa mère "viendrait la chercher"), et peut-être s’approprier ainsi l’objet maternel, ce qui me conduit à terminer l’entretien de la manière suivante :

Q - Oui. Peut-être alors vous, vous en parleriez à votre mari de la façon d’éduquer vos enfants… C’est peut-être ça qui serait différent entre vous et votre mère ?

- Ah ben oui ! De toute façon, j’irais pas avec quelqu’un qui serait d’accord avec taper, alors…