e - UN OBJET PATERNEL NON UTILISE

Soulignons chez Seher une difficulté dans la constitution d’objets œdipiens symboligènes, ce que nos deux entretiens montrent à plusieurs reprises. L’image paternelle, lointaine, est sans cesse ramenée à la discrétion de la mère. Elément de la puissance phallique de celle-ci, le père est "d’accord avec elle de toute façon". Double de la mère, il n’intervient pas, à entendre Seher, dans les discordes ou les violences familiales. Ce sont d’autres figures masculines qui émaillent le discours de cette jeune fille lorsque ses frères, grands ou petits, jouent les partenaires de la mère dans cet assujettissement de la fille. En clair, le père compte peu. Interface du domestique et du social, son destin est de "travailler beaucoup", donc de ne rien faire à la maison, laissant le champ libre à celle qui, au-delà de l’épouse, se définit d’abord pour Seher comme une mère.

Ainsi le père n’est-il pas vécu comme apaisant les tensions familiales. Au moins pourrait-il les susciter, être craint de ses retours ou de ses exigences occasionnelles. Mais les associations de cette jeune fille laissent apparaître que l’image paternelle est en périphérie de la brûlante violence familiale. Ainsi observerons-nous une absence représentationnelle du père dans les propos de Seher, jetée dans ces moments « crisiques » vers une fantasmatique anale-phallique de l’imago maternelle. Ce qui frappe à propos de cette jeune fille, c’est l’absence d’utilisation de l’objet paternel à des fins de symbolisation ; nous sommes loin alors d’une économie relationnelle paradigmatique dans laquelle le père est « découvert » à l’occasion de sa « présentation » par la mère, pour reprendre la conceptualisation de R. ROUSSILLON [2003, p195]. Ajoutons qu’à cette occasion « … se révèle et se lève du même coup, dans la relation au père, quelque chose de l’énigme du désir maternel qui infiltre d’emblée la relation de la mère à l’enfant. C’est au père réel qu’il revient de « traiter » ce reste inassimilable lié à l’impact de la sexualité de la femme sur la mère et sur le maternage. » [Ibid.]

L’objet paternel dont témoigne Seher, et c’est en cela qu’il ne prendrait pas rang d’objet œdipien, échapperait à cette disponibilité. Ce sont les attitudes inter parentales qui doivent être interrogées ici dans leur disjonction, la puissance régnante de l’une et l’absence opératoire de l’autre se conditionnant in fine. La scène primitive délivrée par cette jeune fille est une scène d’assujettissement ; une imago maternelle anale-phallique paraît dominer une image paternelle dès lors mise en situation de faire écho aux mouvements maternels. Caché derrière la mère, caché par la mère, le père est lui-même pour Seher sous l’emprise de cette imago et manque à l’expérience subjective féminine.

Car c’est bien à une nécessité « primaire » que renvoie la disponibilité de l’objet paternel à être utilisé. Par son absence dans la symbolisation, il fait courir le risque à l’adolescent(e) de se voir rejeté(e) dans les bras (armés) de la mère, ce à quoi nous rapporterons l’idée suivante : « … souvent, les pères ne se rendent pas compte à quel point, pendant leur adolescence, les enfants ont besoin d’eux, constamment, d’une façon pressante ; ils doivent être disponibles sur demande comme les mères avec leurs nourrissons. »[M. KHAN, 1985, p117]