II - 5 - 2 - Premier entretien

a - UNE SOLITUDE FACE AU PERE

Amélie écoute soigneusement la définition de ma mission dans l’institution, et lorsque j’ai terminé, avance…

- Et vous allez rencontrer mon père ? la Juge il a dit que vous verriez mes parents… ?

Q - On leur demandera de venir, comme on le fait pour les jeunes filles placées ici et qui sont mineures…

Connaissant préalablement cette situation dans ses aspects de maltraitance, c’est du côté de la peur que je situe d’emblée cette réaction d’Amélie. Peur de rencontrer son père dans les couloirs de l’établissement, peur qu’il l’agresse physiquement pour lui faire payer ses dénonciations de la violence physique, peur d’être confrontée à lui et à son assignation à revenir à la maison, peur ne pouvoir résister à ses injonctions…

Devant son silence, j’enchaîne…

Q - Vous avez peut-être peur de le voir ici…

- Oh pas tellement ! C’est pas ça… C’est ce qu’il va vous dire, plutôt ! Il raconte n’importe quoi, mon père… A l’assistante sociale déjà, pourtant c’était une enquête, hein… ben je sais pas ce qu’il lui a dit, mais ça a rien donné ce que j’avais fait en mars… aller au commissariat, tout ça… Mon père, il est resté à la maison. Pourtant la police lui avait dit qu’il devait partir de chez nous… C’est qu’il est fort, hein… Il sait bien ce qu’il faut dire…

Il me vient à ce moment-là l’image d’un père qu’Amélie vivrait comme séducteur, beaucoup plus que fantasmatiquement violent, ou violent par tant de séduction, et je me demande alors si n’apparaissent pas ainsi d’emblée dans l’entretien les effets de l’éloignement, cette adolescente ayant déjà désinvesti ses souvenirs de mauvais traitements paternels. Je décide d’orienter alors notre dialogue autour de la réalité des faits.

Q - Vous pensez qu’on ne vous a pas crue ?

- Ben si… Tout ce que j’ai raconté, ils ont bien vu que c’était vrai, ma mère elle a dit pareil… Non, c’est mon père, il sait embobiner les gens…

Q - Et après votre dénonciation, il n’a pas compris qu’il avait été trop loin avec vous, et qu’il devait se calmer ?

- Mon père, se calmer ? Ah je crois pas hein… Quand il fait quelque chose, il va jusqu’au bout, même si c’est n’importe quoi !

Q - Et c’est quoi, n’importe quoi ?

- Ben ce que j’ai dit, quoi… Quand il est énervé, c’est moi qui prends ! J’y suis pour rien, hein… mais c’est sur moi qu’il tape, ça le soulage. C’est comme ça, c’est moi qui prends, pour tout. Des coups de poings, c’est souvent. Sur la tête, dans les épaules, ça, ça fait drôlement mal, et longtemps, hein… Et même que ça fait des traces, il s’en fout, hein… Et pour rieeeen, hein ! Si j’ai fait juste un peu de bruit, paf ! !