d - CHOISIR SA FAMILLE ?

Puis associant sur cette solitude, j’enchaîne…

Q - A part vous et vos parents, il y a d’autres personnes à la maison ?

- Non, mon frère, il est parti, il y a cinq ans, à peu près. Je me souviens, il avait quinze seize ans, à peu près, il est allé vivre avec sa copine. C’était chez ses parents à elle. Mais un appartement dans le même immeuble que nous, hein !?

Q - Et comment vos parents ont réagi ?

- Non, mes parents, ils étaient d’accord. Ma mère elle le voyait tous les jours. De toute façon, ça l’embêtait pas.

Q - Qu’est-ce qui embêtait pas qui ?

- Ma mère, ça l’embêtait pas qu’il soit chez eux. Elle disait qu’il était bien. Après ils ont déménagé. C’était plus que deux ou trois fois par semaine qu’elle le voyait.

Q - C’est comme s’il s’était trouvé une nouvelle famille ?

- Oui, à peu près. Tant mieux pour lui ! De toute façon, une famille comme la nôtre !…

Q – Votre famille, c’est pas la famille que vous auriez choisie…

- Ah ben non alors !

Q - C’est vrai qu’en ce moment, c’est difficile d’y penser autrement… Mais en dehors de cette violence, et comme je vous vois aujourd’hui, vos parents ont dû vous apporter des choses utiles…

- Oui… si vous le dites… Mais on y était pas tellement à la maison. On a été placés. J’étais à l’Angélus 35 , puis dans une famille d’accueil à Marlhes, et après aux Marmousets 36 . J’y étais, c’était pour pas être séparée de mon frère. On était toujours ensemble.

Q - Vous connaissez la raison de ces éloignements de chez vous ?

- C’est ma mère, elle est faible. Ça a toujours été comme ça. En fait elle est malade des nerfs. Elle est suivie pour ça. Elle voit un psychiatre, il lui donne des médicaments. En plus elle est handicapée, à 80%, pour la dépression je crois… Alors ils nous ont mis là-bas.

Q - Ils ?

- Les assistantes sociales, tout ça… Ceux qui s’occupaient de ma mère…

Q - Et vous êtes revenus à la maison avec votre frère…

- Je suis revenue vers dix onze ans, à peu près.

Q - Vous, vous étiez contente de ce retour ?

- Oh oui, au départ… Ça s’est bien passé jusqu’à il y a deux ans. Avant, je faisais ce que je voulais, j’étais dans la rue jusqu’à deux heures du matin, et depuis il ne veut plus que je sorte. C’est n’importe quoi ! Eh, j’ai plus douze ans, moi !

Q - Et vous savez pourquoi vous avez été reconfiés à vos parents ?

- Ah ben non, hein… Je sais pas.

Q - Vous en avez parlé avec vos parents ?

- Non… On parle pas de ça à la maison. Déjà de parler des courses, ça finit mal alors…

Cette réponse, qui suggère une certaine dose d’esprit chez Amélie, est toutefois faite sans le moindre sourire. J’aurais pu trouver cela drôle sur le moment, si ce propos ne m’avait renvoyé à cette réalité : dans la famille d’Amélie, les mots entraînent des coups plus sûrement qu’ils ne symbolisent.

Ici Amélie semble travailler une distance à l’objet, par cette lucidité et cette comparaison de la plus ou moins grande gravité des sujets abordables en famille sans que tout cela ne « finisse mal… »

Notes
35.

Une institution locale publique qui accueille des enfants en bas âge.

36.

Une institution locale associative qui accueille des enfants et des préadolescents.