b- QUI FORCE QUI ?

L’image d’un adulte homme qui impose un comportement à cette adolescente (marcher pendant des kilomètres, est-ce que c’est pareil que parler pendant des heures ?) m’est assez difficile à accepter… Me vient alors, comme dans une contre-attitude, la représentation que nous protégeons bien Amélie en l’hébergeant, cette protection comprenant aussi un dispositif pour symboliser des expériences ayant pu être traumatiques pour elle.

Puis elle répond :

- Je m’en occupe, de ma mère… je la force à sortir ! Non, c’est vrai, c’est important pour moi. Dehors je la vois revivre, on rigole… Il y a que là qu’elle rit… A la maison, jamais je la vois rire. Je l’emmène faire les magasins, allez on y va, hein… Juste les vitrines, quoi, mais on est bien ! On est sans mon père, quoi… on est bien.

Me vient alors à l’esprit cette image de l’aveugle que l’on oblige à traverser la rue. S’ajoute à cela ce forçage interrogé dans ma propre attitude professionnelle, puis les mouvements du père vis-à-vis de la mère, lequel prend cette femme handicapée en charge sans violence physique alors que sa fille est parallèlement l’objet de telles brutalités. Je me demande alors qui aide qui, et qui force qui dans cette famille…

Me vient l’idée que l’agressivité du père change d’objet, se déplace de la mère à la fille, mais aussi que le duo père-fille serait le seul véritable couple de la famille, l’érotisation passant par l’installation de scènes sadiques perverses, ou encore que la fille questionne plus sûrement ce père sur son désir d’emprise que la mère, si empêchée par sa désocialisation… Je me rends compte aussi que ce deuxième entretien est très productif pour moi en termes de fantasmes et d’hypothèses de compréhension.

… Je me rappelle qu’avant elle buvait, ma mère. Elle avait fait des cures qui avaient rien donné. A chaque fois elle recommençait… ça servait à rien. Là, elle s’est arrêtée il y a six mois… Elle a pas recommencé cette fois-ci, je sais pas pourquoi ça a marché ! En tout cas, elle boit plus !

La mère va mieux depuis quelques mois… Amélie est allée au commissariat il y a un peu plus de trois mois, puis a demandé à partir de chez elle récemment… Je lui propose une interprétation :

Q - Peut-être que vous avez senti que votre mère était mieux, et que c’était possible de partir de chez vous. Vous le ressentez, ça, que quelque chose s’est amélioré ?

- Oui, c’est vrai ça. Avant, quand je pensais à partir, je pensais toujours à ma mère… que je pourrais pas m’en passer, quoi ! Mais l’autre fois, j’y ai pensé, mais pas pareil. Moins, quoi…