II - 5 - 5 - Troisième entretien

a - UNE OPPOSITION PLUS MARQUEE

C’est en fin d’après-midi de la même journée que je rencontre Amélie pour la troisième fois. Elle vient à l’heure dite, de manière aussi sombre que la fois précédente. L’ayant vue aux côtés de sa mère quelques heures auparavant, je ne lui redis pas bonjour et je me contente de lui donner la parole d’un simple signe de tête interrogateur. J’ai à ce moment-là à l’esprit que le sujet sur lequel elle va s’exprimer est des plus évidents, la « prise en charge » de sa mère lui ayant en fin de compte pris tout son matin.

Elle reste toutefois silencieuse, pensive, et je me rends compte que ses attitudes font écho en moi à celles de sa mère, écrasée dans son siège quelques heures auparavant. Au bout de quelques instants, imaginant que sa rencontre avec celle-ci est à l’origine de beaucoup de questions en elle, je prends ainsi la parole :

Q - Comment vous l’avez sentie, votre mère ?

- Comment je l’ai sentie ?

Amélie me renvoie ma question avec la même pugnacité qu’un joueur de tennis peut mettre à renvoyer l’engagement de son adversaire. Service/retour. Dans le silence qui s’est installé - ma question me semble suffisamment claire pour que je ne la commente pas à cette jeune fille - j’associe sur ce mot de « retour » qui m’est venu à l’esprit. De quel retour s’agit-il en fait ? Car avoir vu Amélie repartir avec sa mère le matin m’a peut-être évoqué son retour à la maison, comme si la mère était venue chercher la fille… Il me semble en même temps que la tonicité d’Amélie est, elle, bien différente de la passivité de la mère.

Puis il me vient à l’idée qu’il n’a pas été particulièrement habile de demander à cette mère de venir nous rencontrer au cours du séjour d’Amélie, une fois connu qu’elle serait seule, que cela mobiliserait en tous points sa fille, et que la situation de détresse et de solitude de celle-ci pourrait toucher celle-là. Cette idée de l’habileté me renvoie à celle de la manipulation, comme si je me surprenais à vouloir empêcher Amélie de retourner chez elle si elle le souhaitait, et par tous les moyens stratégiques possibles. De ce fait, évoquer ses sentiments pour sa mère était-il bien pertinent dans un tel contexte ?