Q - Vous avez parlé avec les éducateurs de votre orientation ?
- Oh, mais oui, hein… Non, mais ça va pas ? Ils veulent me mettre au Soleil 39 ! Je veux pas aller là-bas, moi ! Non pis quoi encore ?
Q - Ah oui, c’est vrai, nous avons parlé de ça en réunion l’autre jour. Mais pourquoi ça vous paraît pas convenir ?
[Amélie hausse les épaules en levant les yeux au ciel, comme si la réponse était évidente pour chacun. Puis après un moment de silence…]
- Il y a mon oncle qui habite juste à côté ! De ses fenêtres il voit la cour du foyer ! Je veux pas aller là-bas moi !
Q - Et c’est vraiment embêtant, ça ?
- Ben si il sait que je suis là-bas, il va sûrement faire quelque chose. Vous pensez que ça va se passer comme ça ? Non, non…
Q - Ah bon ? Faire quelque chose… mais quoi ?
- Ah mais vous le connaissez pas vous ! Je sais pas ce qu’il peut faire, moi. Mais c’est toujours le bordel, chez lui ! Vous verriez ça…
Q - Ça vous embête s’il sait que vous êtes dans un foyer ? C’est quelque chose comme ça ?
- Ben oui… non… Ben y a pas que ça… Oh pis je sais pas moi ! Je veux pas aller là-bas, c’est tout !!
Amélie a monté le ton tout au long de ce bref échange, jusqu’à ce dernier propos, qui paraît vouloir mettre un point final à l’idée de cette orientation. J’attends toutefois un long moment avant de relancer ainsi l’entretien :
Q - Mais en fin de compte, pour vous, ça serait quoi un foyer qui vous irait ?
- Ah ben un foyer comme ici ! Que ça soit petit, qu’il n’y ait pas trop de monde, tranquille quoi… pas d’embrouilles !
Q - C’est difficile à trouver ce que vous décrivez. Ici, on peut pas rester… Est-ce qu’il y a d’autres choses que vous avez trouvées ici et qui seraient importantes pour vous ?
- Ah ben oui ! Plus entendre gueuler et risquer de me faire taper ! Ici, ça crie pas tout le temps !
Q - On vous a parlé d’un autre foyer si pour celui du Soleil il y a ce genre de problèmes ?
- Ouais ben le foyer de la Métare, quoi… Mais là-bas c’est des filles, moi j’ai rien à voir avec elles hein… Je veux pas aller là-bas non plus…
Q - … ?
- Ouais ben c’est un foyer de filles… hein… Vous voyez ce que je veux dire…
Q - Oh, il y a un certain nombre de jeunes filles qui étaient là et qui ont été orientées là-bas… C’est un foyer comme un autre il me semble. Pourquoi vous voulez que ça soit des filles particulières là-bas ?
- Mon père il l’a bien dit l’autre jour…
Q - Ah, si vous croyez ce que dit votre père, aujourd’hui…
C’est par un silence qu’Amélie répond à ma réflexion, non dénuée d’agressivité, qui concerne cette modification de représentation du père, et peut-être aussi le transfert hostile que son investissement de l’entretien laisse apparaître.
C’est un nouveau silence que je laisse d’ailleurs s’installer un peu, ayant à ce moment-là l’impression qu’Amélie repousse régulièrement mes tentatives d’entrer en contact avec elle. A vrai dire, j’ai la représentation que cette jeune fille refuse purement et simplement l’entretien à la suite de deux éléments de réalité : la rencontre avec le père qui aurait donné à Amélie l’espoir d’une relation améliorée avec lui, et une autre rencontre le matin avec la mère, qui a pu mobiliser cette adolescente du côté de la culpabilité et du soutien rapproché que nécessiterait celle-ci.
« Le Soleil » est un quartier de Saint-Etienne où était alors installé un foyer éducatif.