c - UNE IDENTIFICATION AU PERE

Je ressens alors le poids de l’intersubjectivité sur les mouvements psychiques des jeunes filles accueillies, et, sans doute dépité par ce que je sens poindre comme un renversement de situation, se formalise en moi l’idée que « tout est toujours à refaire ». Quelque chose du côté de l’abattement aura donc fini par me gagner moi aussi…

Q - Ça a pas l’air d’aller aujourd’hui, Amélie… Ça serait mieux d’en parler tout de suite, non ? Il y a quelque chose qui vous ennuie ?

[Temps de silence. Amélie paraît ne pas avoir entendu ma question. Puis, au moment où je me demande comment reprendre l’échange…]

- Non, c’est pas ça… Mais j’en ai marre d’être ici, en foyer tout ça… Je suis mal.

Q - Et dans ces moments-là, j’ai l’impression que vous vous contenez difficilement…

- Que je me… ?

[A-t-elle aboyé ou répondu ?]

Q - Que vous gardez pas bien votre malaise en vous. Vous le faites sortir d’un seul coup sur la personne en face de vous…

[Et abandonnant le ton de l’agressivité…]

- Ben oui, hein… Je suis folle ? Est-ce que je suis folle ?

Q - Vous êtes sérieuse quand vous utilisez ce mot, "folle" ?

- Non… pas folle de l’hôpital, hein… Mais mon père, des fois je crois qu’il m’a rendue comme ça, pas normale… Des fois je m’énerve, je crie, ça gueule, et après je me mets à pleurer… Ça me l’a fait l’autre fois ici. [Elle montre la direction de l’appartement d’accueil] Après c’est parti comme ça avec l’éducatrice, mais elle a compris, je crois…

Je pense alors à la mère d’Amélie, qui nous disait que son mari s’énervait, tapait, et puis pleurait ensuite… L’idée de l’identification hystérique d’Amélie à son père me vient, puis une association sur ce mot « rendue », "mon père m’a rendue comme ça…", association par laquelle elle vivrait son père comme l’ayant prise… pour pouvoir la rendre ainsi ensuite. D’ailleurs ces éléments ne soulignent-ils pas le sentiment d’appartenance d’Amélie, comme sa visite chez eux le vendredi ("le vendredi après-midi, il a pas beaucoup de travail, souvent") laissait supposer qu’elle se… rendait à son père, ce qui renforce encore l’idée d’une agressivité davantage que celle d’une violence.

Q - C’est comme si vous sentiez en vous comme un besoin de vous énerver parfois ?

- Non, c’est pas comme ça… Ce que je voudrais, c’est faire quelque chose ! J’ai l’impression que ça bouge pas ! Mais après, oui, je m’énerve, pis ça tourne en crise…

Q - Faire quelque chose… Votre père… Peut-être que vous pensez que c’est votre père qui vous empêche surtout de faire quelque chose ?