e - UNE RESISTANCE A MON INTERPRETATION…

J’ai maintenant tout à fait l’impression qu’il serait facile de terminer cet entretien en échangeant des banalités avec Amélie, comme si sa relation au père était difficilement interrogeable dans ses aspects libidinaux et agressifs, ni quelque question que ce soit d’ailleurs. Je décide d’aborder le sujet de front, suspectant qu’une telle attitude de réserve serait un peu trop défensive de ma part…

Q - J’ai appris que votre père n’était pas présent au rendez-vous de vendredi dernier chez la Juge mais que vous l’avez vu ensuite…

- Oui, il a pas pu venir tout de suite. Mais on s’est vu après avec lui et ma mère, on a été faire des courses ensemble.

Q - Est-ce que vous avez pu parler avec lui de la situation, de votre avenir par exemple ?

- Oh non, on n’a pas parlé de ça ! Il m’a juste dit qu’il était pas contre que j’aille dans un foyer, mais pas n’importe lequel, hein…

Q - Oui, on a déjà parlé de cette question des foyers tout à l’heure… Moi c’est à propos de votre père que j’aimerais qu’on échange. En vous entendant dire deux ou trois choses ici tout à l’heure, je me demandais si au bout de trois semaines vous avez pas un peu besoin de rentrer vivre avec vos parents…

L’expression de profonde lassitude qu’Amélie s’applique à prendre maintenant est manifestement là pour me signifier toute la fatigue que produisent en elle de telles interprétations, tant elles seraient éloignées de toute vraisemblance. Pour ma part je me sens de plus en plus irrité par ses attitudes de refus, ce ton parfois cassant qu’elle utilise pour répondre, tout en étant bien conscient que j’assiste ici à l’expression d’une résistance chez cette jeune fille. Car ce que j’interprète chez Amélie comme une contre-attitude me fait me représenter cette adolescente dans une lutte contre un ennemi intérieur beaucoup plus puissant que ne le seraient les interprétations du psychologue.

Sa mimique, pour excessive qu’elle soit, me fait comprendre aussi que la question n’est peut-être pas du côté de l’ambivalence chez elle, mais bien dans l’établissement d’un clivage censé la protéger de son désir inconscient de retour auprès du père, ce qu’elle vivrait comme particulièrement régrédiant ("mon père, je crois bien qu’il veut pas que je grandisse !").