h - AMELIE ET SA MERE : AU DELA D’UN APPUI RECIPROQUE

Avançons dans cette première reproblématisation en précisant la place de l’objet maternel dans l’évolution de cette adolescente durant son placement et, au-delà, de sa fonction pour le rapport d’Amélie à l’imago paternelle. Notre observation habituelle dans les situations marquées de violence physique paternelle, et l’exposé de notre deuxième cas (celui de Selma) tout comme le point de vue de R. ROUSSILLON (supra page 86) viennent à l’appui de cela, est que les mères ont un rôle à jouer vis-à-vis de leurs filles dans la compréhension de ce qu’est un père, et notamment lorsque cette figure paternelle manifeste aussi ouvertement sa vie pulsionnelle.

Rappelant un passage de l’Acte III d’Hamlet, dans lequel ce fils de roi sollicite une entrevue avec sa mère, B. PENOT évoque l’importance de la position de cette dernière dans la sortie du drame par le héros shakespearien et par tout adolescent confronté à quelque question essentielle dans la figure paternelle : « Celle-ci s’y montre incapable de restituer à son fils le minimum de signification susceptible d’éclairer, pour lui, la volonté paternelle et de lui permettre de s’y repérer pour agir. (…)C’est que la consistance imaginaire de la figure paternelle doit s’assurer d’abord du côté du psychisme de la mère elle-même(…). La carence de la mère d’Hamlet à soutenir cette consistance imaginaire du père est montrée dans le fait qu’elle ne voit pas le spectre qui apparaît, au milieu de cette scène, aux yeux d’Hamlet. » [B. PENOT, 1988, p171]

Il y a tout lieu de penser que la mère d’Amélie ne voit pas davantage ce qui est en jeu dans la situation de sa fille et dans les relations installées par ce père avec celle-ci, pas plus que cette mère n’indique à Amélie, dans la solitude psychique qui est la sienne, une solution viable pour s’extraire d’une telle emprise. L’entretien avec cette personne nous a montré en effet que ses difficultés étaient telles qu’elle ne peut signifier à sa fille ce qu’est une résistance ou une fuite, ainsi qu’éclairer les limites de l’acceptable en ce domaine.

L’écrasement dans lequel se montre la mère d’Amélie devant ses difficultés d’épouse et de mère remplit à l’extrême une fonction de caution de l’agressivité du père, alors même que ce dernier tendrait à la disqualifier en tant que mère. Une telle asymétrie relationnelle entraîne Amélie dans des positions d’accompagnement et de soutien, ce qu’elles ont toutes deux rapporté au cours des entretiens. Or ces attitudes peuvent aussi bien apparaître comme des formes inversées de la domination que le père exerce sur la mère. Car si dans l’adolescence féminine la question de la rivalité à la mère ne manque pas d’être posée, dans une situation marquée par un contexte incestuel, une attitude de prise en charge de sa propre mère comporte sa propre part de violence, qui fait la part belle à l’attaque du symbolique et à l’évacuation de cet objet maternel comme rival.

Face aux défaillances de la référence maternelle, Amélie paraît contrainte de fairerégulièrement retour vers le père, lui dont les propres renversements d’attitudes - aussi bien après le rendez-vous chez la Juge que lors de cette fin de séjour heurtée - se prêtent à ces allées et venues. Mais si l’incorporation et la perte impossible résident sous cette nécessité, l’objectif de ce fantasme d’incorporation paraît bien de maîtriser le personnage paternel, seule solution réunissant le double impératif de conservation du lien et de protection face à l’agressivité que cet objet déploie.

Le père, par ces oscillations, nous semble se proposer imaginairement à sa fille comme réparateur de lui-même, en tant que parent total assumant aussi bien l’expression pulsionnelle orale et anale ("gueuler", "taper"), qu’une fonction contenante qui protègerait Amélie des risques narcissiques que lui fait courir un objet maternel potentiellement fusionnel. Mais ne retrouvons-nous pas encore dans les attitudes toutes-puissantes de ce père la trace de la perversion ? Par ses positions anti-institutionnelles (ses dénis des décisions judiciaires et du projet pédagogique de l’établissement) et anti-scolaires, le père n’est en effet nullement l’ambassadeur dans la famille d’un ordre symbolique qui le dépasserait, pas plus que sur le plan de l’idéalisation, il ne fait une place à la féminité de sa fille. L’active contestation de cette féminité d’Amélie par le père a déjà été soulignée supra, et mise en articulation avec son refus personnel de la castration.

Il reste à pointer que l’équivalent de scène primitive dont témoigne Amélie a ceci de particulier que cette jeune fille n’y est pas différenciée par le père de la place de la mère (rappelons que les reproches s’adressant à l’une conviennent parfois aussi bien à l’autre). Nous devons souligner aussi que la mère elle-même renforce ces représentations par des évocations qui dessinent une communauté de peur ("ça fait peur, on a peur !") et d’intérêt ("On sortait en ville, des fois. Je sors jamais, on était bien").