b - PREALABLE

Nos cinq jeunes filles ont témoigné de violences physiques assez différenciées. Les coups ne sont pas donnés par les mêmes personnes : le ou les frères pour Naïma et Déhbia, le père pour Selma et Amélie, sa mère et ses frères dans le cas de Seher.

Cette première constatation ayant été faite durant nos premières reproblématisations, nous pouvons la préciser maintenant par une autre observation : la violence peut être le fait du père - qu’il soit celui qui frappe ou que les coups soient administrés sous sa responsabilité -, ce qui est le cas de Naïma, Selma et Amélie, ou le fait de la mère - avec la même réserve d’une éventuelle délégation -, ce qui concerne alors Déhbia et Seher.

Ceci constitue une division de notre matériel sur laquelle sera construite la deuxième partie de cette discussion des hypothèses (page 298 à 323). Notons ici que les deux jeunes filles ayant pris des médicaments ont intériorisé les coups paternels comme une violence fantasmatique attaquant le lien objectal, alors qu’Amélie paraît se représenter qu’au-delà de la maltraitance paternelle, la relation est préservée par le père.

Enfin continuer sur cette mise en opposition de divers éléments nous fera observer que les attitudes de ces cinq jeunes filles au cours de leur temps de placement ont été bien différentes. Naïma et Selma, qui sont respectivement restées trente et un et trente-huit jours dans notre établissement, se sont globalement adaptées au cadre que nous avons décrit supra, au moins suffisamment pour se rendre au rendez-vous final chez le Juge pour enfants et accepter l’orientation officialisée par ce Magistrat. Déhbia a commencé à fuguer au bout de vingt-quatre jours, Seher n’aura été hébergée que durant deux semaines et demie, et Amélie a fugué dans les conditions que nous avons décrites dix-huit jours après son accueil… Nous pourrions aussi chiffrer le délai après lequel toutes sont retournées pour la première fois chez elles après leurs départs conflictuels, et les intentions qu’elles ont affichées alors, mais cela ajouterait-il encore quelque chose à ce qui apparaît bien comme une seconde rupture dans notre matériel (celle-ci conforme à notre hypothèse méthodologique), entre les deux jeunes filles qui avaient fait au moins une tentative de suicide et ont maintenu tout au long de leur séjour un refus de retourner en famille, et celles qui n’ont jamais eu recours à ces auto-agressions et sont retournées prématurément chez elles ?

Ainsi devons-nous dans cette dernière partie mettre en perspective ces constatations, tout en observant que ces deux partages de nos situations ne sont pas du même registre. Le type de violence reçue fait partie d’une réalité externe, préalable aux vécus de ces adolescentes, alors que tentatives de suicide et attitudes au cours du placement participent déjà de processus psychiques organisateurs du destin de l’auto- et de l’hétéro-agressivité.

Mais répondre à nos questions initiales ne passe pas uniquement par des différenciations, l’emprise ayant aussi traversé notre matériel de manière unitaire et invariable. En effet, aussi bien dans le contexte intersubjectif des coups que pour les caractéristiques énoncées de la violence familiale, autant pour expliquer des gestes auto-agressifs que concernant une nécessité de rentrer chez leurs parents, cette emprise est apparue dominante dans le vécu de toutes ces jeunes filles.

Cherchant à aller du plus large au plus différencié, c’est cette dimension de l’emprise que nous souhaitons synthétiser et approfondir d’abord dans une première partie. Cette notion, généralisable à toute notre clinique, se dégagera progressivement des problématiques incorporatives ou introjectives que nous avons désignées dans nos présentations cliniques.