b - DES RELATIONS SYMBIOTIQUES QUI ENTRAVENT

On observera d’ailleurs que toutes ces jeunes filles ont témoigné de relations aux parents marquées d’une excessive proximité affective. Comme dans une véritable transposition idéalisée de l’emprise, chacune semblait avoir trouvé ainsi un double narcissique : (Naïma) "il est chouette, il m’a toujours écoutée, c’est le seul, et aidée quand je lui demandais quelque chose... il ne m’a jamais rien refusé.", "Jusqu’à il y a quinze jours, il ne m’avait jamais déçue !"

(Selma) "Mon père, quand j’étais petite, c’est la personne que j’admirais le plus au monde. (…) Quand je pense comme il s’occupait de moi au début ! Il m’apprenait toujours des trucs… Je me sentais fière !", "Avant il me donnait beaucoup de responsabilités... c’est moi qui le remplace à la maison... on est pareils..." Ensuite, la relation s’est renversée, et l’objet paternel est devenu un double antagoniste : "Maintenant, c’est la personne que je hais le plus au monde."

Déhbia, elle, présente la relation à son père sur ce mode de proximité lors de notre première rencontre : "Avec lui, je suis bien. Je suis sûre qu’il ne peut rien arriver. Il me comprend, et si c’est lui qui me demande quelque chose, je suis d’accord tout de suite…" Nous entendrons ici sa tentative de se délivrer de la violence et de l’emprise fraternelles, quoique nous devions noter qu’utiliser cette image parentale comme un levier n’a guère été couronné de succès pour sortir de la relation en miroir qui liait cette jeune fille à ce frère aîné (supra page 190). A la fin de son séjour, c’est alors l’image maternelle qui revêt pour elle une fonction de double : "Au début j’en avais marre que ma mère elle fasse rien. Mais après j’ai compris que c’était pas ça, quoi… En fait elle est comme moi, elle y peut rien… " ce qui nous confirme que c’est bien la mère qui reste l’objet d’attachement préférentiel de cette jeune fille.

Nous ne reviendrons pas pour Seher sur ce que sa compréhension des mécanismes de la transmission d’une violence mère-fille lui propose comme miroir pour sa mère, en l’absence d’une image paternelle qui la protègerait de cette duplication. Tout à la fois marieuse et maltraitante, l’image maternelle donne lieu au cours du séjour de cette jeune fille à des attitudes d’imitation en direction des autres résidentes. Mais ici, le matériel manque pour préciser la dynamique du retour en famille, rappelant toutefois que celui-ci prend naissance dans l’exclusion de Seher. Les éléments que cette jeune fille nous avait donnés au sujet des appels téléphoniques avec sa mère pourraient toutefois nous permettre de nous représenter cette relation symbiotique, pleurs et rappels du lien sado-masochique pouvant illustrer là cette captation de Seher par l’imago maternelle (supra page 221).

Enfin la situation d’Amélie renverrait à celle de Déhbia sur ce point, dans la mesure où c’est en direction de l’autre parent que cette jeune fille évoque d’emblée une relation de proximité : "Je l’emmène faire les magasins, allez on y va, hein… Juste les vitrines, quoi, mais on est bien ! On est sans mon père, quoi… on est bien." Cette identification aurait même été suffisamment forte pour empêcher Amélie de partir plus tôt de la maison ("Avant, quand je pensais à partir, je pensais toujours à ma mère… que je pourrais pas m’en passer, quoi ! Mais l’autre fois, j’y ai pensé, mais pas pareil. Moins, quoi…"). Observons enfin que cette position de double est alimentée par les attitudes du père lui-même : "… il lui a dit "ferme ta gueule, toi ! Si t’étais pas si… enfin, une injure, quoi… "ça se passerait pas comme ça ! Mais elle, elle y est pour rien ! Mais à l’envers, pareil ! Si elle avait dépensé trop pour les courses, il nous engueulait toutes les deux. J’y suis pour rien, moi…"