c -DIFFERENCIER REPRESENTATIONS ET PERCEPTIONS

C’est dans ce contexte de liens difficilement transformables que chaque jeune fille a tenté de se dégager de l’étreinte de l’autre familial (frère, père, mère), recourrant pour cela à des moyens tout aussi violents (rendre les coups ou s’agresser soi-même). Un étape dans ce dégagement peut apparaître en outre dans la différenciation, dans leur monde interne, de ce qui appartient à leurs représentations et fantasmes et de ce qui appartient aux perceptions et à la réalité externe. Clivages et courts-circuits, identifications à l’agresseur et renversements ont émaillé notre exposition clinique, soulignant bien que cette différenciation était loin d’être opérante à certains moments de la vie familiale de ces adolescentes, voire durant leur séjour, ce qui participe de la confusion soulignée supra.

Un exemple en est la répartie de Selma à ma question qui concernait l’emprise : "Vous la ressentez vraiment son envie de vouloir vous garder petite ? C’est pas que je la ressens, c’est que c’est comme ça !". Cette réponse de Selma indique bien la défaillance du mode introjectif - lequel impliquerait de se représenter, c’est-à-dire de transformer une expérience vécue en éléments du moi -, cette défaillance étant liée au fait que le mode incorporatif amène Selma à désigner au-dehors, expulsée, donc, l’imago qui mêle en elle violence fantasmatique et emprise.

Amélie de la même manière contestait radicalement mes préventions au sujet de son envie de retourner chez elle ("Ah non mais je vous dis que noooon !! Ça sert à rien de parler de ça… puisque je vous ai dit que même mon père il est d’accord pour que j’aille dans un foyer ! Je vois pas bien pourquoi j’aurais besoin de retourner chez moi…"), probablement parce que l’imago incorporée connote de réalité perceptive toute allusion à une telle idée, rendant difficile une élaboration de cette nature. Déjà, lors du premier entretien (supra page 249), cette jeune fille avait manifesté cette nécessité de placer dans la réalité extérieure l’origine d’un travail représentatif que je lui proposais : "… je me dis que vous avez peut-être arrêté le collège pas seulement parce que ça vous intéressait plus, mais parce que vous ressentiez que ça intéressait plus vos parents, comme une façon d’être d’accord avec eux, ou de rester proche d’eux… - Euh… Oui, peut-être… Euh… Mais eux, ils s’en foutaient vraiment hein !"

Ces exemples semblent bien montrer qu’aucune de ces jeunes filles n’est totalement sortie d’une logique de l’incorporation. Naïma et Selma elles-mêmes n’investissent visiblement pas la modalité introjective de manière continue, laissant apparaître des allers-retours entre l’un et l’autre de ces mécanismes psychiques. Ainsi dirons-nous que chacune de ces jeunes filles, dans sa confrontation à une violence familiale connotée d’emprise, à été en situation d’incorporer une imago parentale qu’il s’est agi à un moment de rejeter, et que ce travail est pour chacune en cours au moment où nous les rencontrons.

Amenons maintenant dans cette vision adaptée à l’ensemble de notre clinique quelques premiers éléments qui renforcent notre différenciation initiale.