f - LE POINT SUR NOTRE DISCUSSION DES HYPOTHESES

Nous avons observé que l’accès à un mode introjectif de traitement des excitations liées à la violence familiale était commun à nos cinq jeunes filles, mais que le maintien d’une telle économie psychique ne se retrouvait pas chez Déhbia, Seher et Amélie tout au long de leur placement, celles-ci apparaissant davantage dans la nécessité de réactualiser la charge conflictuelle de ces expériences antérieures. De ce fait, l’emprise apparaît bien au cœur de la dynamique psychique de ces jeunes filles, emprise « par le dedans » au sens d’une imago ayant pris corps au niveau même de leur identité, emprise « par le dehors » que représentent les coups dans le cadre de la famille.

Mais comment comprendre alors que certaines d’entre elles puissent souhaiter retourner vivre ce qui les a fait fuir quelques semaines auparavant ? Et dans quelle économie psychique situer le fait d’avoir accepté de recevoir des coups, fût-ce sur une période de deux ou trois années ? Répondre à ces questions nous conduit à interroger la question du masochisme, tant elles renvoient à l’idée d’une certaine forme de solution satisfaisante utilisée par ces jeunes filles.

Ainsi essaierons-nous de montrer que toutes ont eu recours pendant leur adolescence à une organisation masochique (voire plus tôt pour Selma et Seher), ayant permis de recevoir en même temps que de supporter ces coups dans un contexte fantasmatique et d’économie psychique particulier.

La différenciation violence paternelle/violence maternelle révèlera ici son importance, et notamment pour les contenus fantasmatiques que chacune d’entre elles suggère. Car nous observerons in fine que le type de violence reçue est dépendant de l’organisation libidinale de la famille, la structure psychique de l’adolescente étant en lien avec celle-là. C’est pourquoi la fin de la prévalence d’une organisation masochique est majoritairement lié à la possibilité de Naïma et de Selma de céder sur le lien incestueux avec l’objet œdipien, ce qui renverra dans notre présentation à l’évocation ultérieure de la constellation objectale valant pour chacune de ces deux jeunes filles.

Les tentatives de suicide de Naïma et Selma seront abordées en cours de ce sous-chapitre en ce qu’elles trouvent leur fonction dans la lutte contre l’emprise, dans le repli sur le registre narcissique, et leur forme dans cette organisation masochique liée à la violence paternelle.

Amélie, confrontée elle aussi à une violence paternelle, ne peut manifestement pas se détacher de manière comparable de l’objet paternel. Outre un aménagement masochique d’autant plus organisateur que les mauvais traitements paternels peuvent être qualifiés ici de tortures sadiques, la personnalité de la mère de cette jeune fille ainsi que son âge (seize ans au moment de l’accueil) apparaissent comme des éléments explicatifs majeurs de son retournement d’attitude à la fin de son séjour.

Pour Déhbia et Seher, c’est leur incapacité d’effectuer le deuil de l’objet primaire qui paraît déterminant dans le maintien de leurs problématiques masochiques. Leur retour en famille s’inscrit dans la dimension plus large de l’incorporation, sans qu’une autre image parentale n’occasionne un travail suffisant de distanciation et de symbolisation.

Pour ces trois dernières adolescentes, c’est le lien à l’objet qui paraît déterminant, en tant que ce lien témoigne d’une emprise de l’objet qui empêche une instauration suffisante du registre narcissique, et d’une difficulté d’introduction du tiers dans cette problématique duelle.

En ce sens, un élément essentiel de nos situations semble être le rapport de l’autre parent à la situation de mauvais traitements, ce que nous soulignerons dans chacune de ces occurrences.