e - L’IMPORTANCE DU TIERS

En regard de ces éléments, rappelons que notre recherche nous a amené à repérer toute la place de l’extérieur dans ce relâchement de l’emprise. Certaines expériences ont amené Naïma à "l’impression de respirer" et de "pouvoir parler de tout" avec son copain, au plaisir de l’internat où elle "ne les a plus sur le dos tout le temps", et à la "liberté" ressentie à passer des fins de semaine chez cette tante.

En ce qui concerne Selma, il faut ajouter à ce groupe de gymnastes l’ambiance scolaire, et le rôle de cette assistante sociale ("elle a vite compris pour mon père, pas besoin de lui faire un dessin !"), dans cette position de bienveillance que nous évoquions supra, cette intervenante ayant contribué à cet ensemble d’expériences narcissisantes avec l’extérieur.

Ces objets tiers, extérieurs au vécu de violence de ces adolescentes, se présentent comme des anti-objets, par définition « le contraire de » (de la violence, des cris, de l’agressivité, de l’excitation, de la peur, de la tristesse, des difficultés scolaires…). Nous repérerons ici la trace de l’idéalisation, même si pendant un temps, ces jeunes filles ont probablement hésité entre cet idéal-là et celui qu’elles avaient pu projeter sur l’environnement familial. Nous pensons qu’il s’agit ici autant d’investissements commandés par la subjectivation adolescente que de contre-investissements défensifs.

Ainsi peut-on dire que l’extérieur, qui offre une multiplicité d’expériences gratifiantes et moins chargées d’angoisse, a fourni à Naïma et Selma les conditions d’une appropriation de soi que le milieu familial et sa confusion des objets paraissaient empêcher. Ce milieu provoque, à travers les pères, un danger de régression que traduit ainsi Naïma : "Ouais, ben je vais lui faire voir que j’ai changé, moi, et que tout ça c’est fini. J’ai plus douze ans, moi !" Selma, qui présente son père mettant un terme à ses responsabilités "à onze ans" et le décrit qui "se met en travers pour tout", évoque tout autant l’éprouvé de cet empêchement et son début d’élaboration : "Maintenant c’est la personne que je hais le plus au monde."

Nous avons pu constater que ces parents, et notamment ces pères, n’avaient pu assurer pour ces adolescentes assez de neutralité dans la famille pour un tel apaisement, au vu de leurs positions personnelles au regard de la castration, et de leurs responsabilités dans la violence faite à ces adolescentes. (Le père de Naïma) "Bien sûr c’est difficile pour elle... mais je vois pas pourquoi elle irait dans un foyer", "dans une famille on doit se supporter" ; (Le père de Selma) "elle a tout à la maison… je vois pas de quoi elle se plaint !" Notons là un déni qui signifie bien que l’exigence, pour ces jeunes filles, d’un espace interne non-contaminé par les objets n’est pas prise en compte.