i - LE MATERNEL FEMININ PRIMITIF EN QUESTION

Mais cette remarque d’une présence maternelle est pour nous l’occasion de reprendre un point de notre problématique, laquelle concernait la lutte contre le maternel féminin primitif, dont nous avons dit supra page 83 qu’elle avait sa part dans de telles économies familiales marquées par la domination des femmes. Les éléments rapportés ici pour ces deux familles sont d’autant plus exemplaires que ce sont des hommes qui agissent cette violence et cette sujétion. Nous avons essayé de mettre en lumière que les préoccupations de ces pères étaient de prendre une place de « seul parent », déniant pour cela à leurs épouses la possibilité de témoigner de la différenciation et de la complémentarité des sexes auprès de leurs enfants.

Mais nos observations liées aux situations de Naïma et de Selma ne nous paraissent rejoindre réellement notre propos sur cette conflictualisation de la féminité que dans le deuxième cas. En effet, cette dimension est très lisible dans les représentations de la « femme sans loi » du père de Selma : "… elle cherche à rien faire de partout, à la maison, à l’école, tout ça. C’est qu’elle a la folie des grandeurs, Selma, c’est ça le problème. Ce qu’elle veut, c’est manger, boire, elle veut avoir la vie facile, vous savez…", "… c’est que maintenant on apprend à tout faire à la femme, tout comme les hommes, c’est ça le problème, c’est qu’on sait plus qui dirige, et après c’est pas bien ce qui se passe, et les enfants, on sait plus qui s’en occupe." Nous dirons que du point de vue de ce père, la féminité semble bien le problème que la violence est censée contenir, et dans une position de contrôler analement le lieu même de la féminité de sa fille ("Vous vous rendez compte ! Il tape dans le ventre !").

Nous ne pouvons entendre de manière similaire l’insistance du père de Naïma à ce que sa fille vive dans des conditions décriées par sa femme elle-même ("Je peux rien faire, quand il rentre, si je lui dis quelque chose, qui sait comment il réagira ?"), décrites par lui-même comme un système persécutoire ("Bien sûr qu’ils ne s’entendent pas tous les jours… On peut pas être d’accord sur tout. C’est normal, ça, entre frères et sœurs ! Mais moi, je leur dis souvent : dans une famille, on doit se supporter"), et dans lequel sa position réparatrice alimente les potentialités de violence ("… quand il sort de prison, il fait des problèmes, il se prend pour un crack ! Il se croyait le plus fort… je l’ai mis à la porte. Mais je le vois traîner dehors sans rien, je lui dis de revenir à la maison au moins pour manger, mon cœur saignait de le voir comme ça. Et le mettre à la porte, j’y arrive pas"). Ici, la position anale-phallique est évidemment moins présente (ce père ne porte pas la main sur sa fille…), et il s’agirait moins de dominer le féminin que de jouir de sa fille (à travers l’action de ses fils), ce que nous renverrons à la qualification de perversion déjà évoquée dans cette situation.

Observons enfin dans les deux cas l’ensemble des résistances que mères et filles développent devant ces systèmes oppressifs, la moindre n’étant pas que les mères acceptent bien facilement que leurs adolescentes continuent de bénéficier d’un placement institutionnel pour échapper aux coups familiaux, questionnant en cela l’emprise organisée par leurs maris.

Cette résistance maternelle parait avoir prévalu pour ces adolescentes durant leurs années de vie en famille, en même temps que cette présence maternelle semble avoir besoin de l’introduction d’un tiers pour entraîner des effets positifs.