b - VIOLENCE MATERNELLE ET IDENTITE DE GENRE

C’est à cette question que nous renvoient en fait les témoignages de Déhbia et de Seher, qui nous ont fait entendre leurs vives protestations au sujet des attitudes maternelles (et le fait d’avoir quitté la maison donnait une certaine force à cette contestation), mais qui ont témoigné par leur retour en famille de leur impossibilité de perdre l’objet primaire, fût-il maltraitant.

Aussi développer maintenant les éléments que nous possédons à propos de ces deux dernières jeunes filles reviendra à présenter l’étiologie de leurs échecs de cette sortie de l’emprise. Leur impossibilité n’est peut-être que très actuelle, et liée à une relative immaturité de fin d’adolescence. Mais ces échecs peuvent aussi être annonciateurs de relations objectales qui appelleront l’emprise dans leur existence, à travers des modalités de violences conjugales ou d’incapacité de se détacher de leur mère dans leur vie d’adulte. En effet si nous soulignerons maintenant que Déhbia et Seher présentent des problématiques nuancées au regard de leurs difficultés et de leurs souffrances, c’est bien le difficile rapport à l’objet primaire qui semble les rassembler ici, rapport pour lequel nous reprendrons l’importance des attitudes de la mère et de son propre refus de différenciation.

Nous évoquions supra page 79 un propos de R. J. STOLLER qui situait dans « les liens indissolubles avec la femellité et la féminité de la mère » l’augmentation, chez la fille, du sentiment d’identité [1973, p152]. Puis nous citions a contrario C. TERNYNCK, pour qui « la fille est investie comme semblable et court le risque d’être méconnue dans son altérité » [2000, p8], donnant à cette identité de genre la forme d’une menace plus que d’une potentialité. Notre propos conclusif de ce paragraphe avait été que le danger, plus que de la labilité du moi de l’enfant, viendrait de la mère et de son narcissisme potentiellement envahissant.

Les mères de Déhbia et de Seher, que nous pourrions qualifier d’« infantiles omnipotentes », selon l’expression de P. GUTTON [2002, p229], pleurent, revendiquent, menacent, et souhaitent le retour de leurs filles sans plus d’élaboration ni de changements dans les conditions qui avaient présidé à leur départ. Evoquant les graves difficultés qui peuvent se nouer entre mère et fille, cet auteur observe qu’alors même « qu’elle devrait s’engager dans une revisite œdipienne contemporaine de la puberté de sa fille, une telle mère « s’absente » du conflit œdipien dans lequel son enfant cherche à s’engager et dont elle attend son identité sexuée. L’adolescente fait une erreur mortelle lorsqu’elle continue à croire en cette mère, qui l’incite inconsciemment à renoncer à son projet identificatoire. » [Ibid.]

Les situations de Déhbia et Seher nous semblent participer de cette occurrence, les attitudes de la mère de l’une et de l’autre de ces jeunes filles nous semblant présenter un danger au niveau même des deux « représentations de la mère », que nous avions définies ensuite (supra page 81). Mais reprenons plutôt chacun de ces cas au regard de leurs particularités sur ces questions.