Nous avons noté au sujet de Déhbia l’importance des excitations psychiques produites en famille, et le lien premier que cette adolescente faisait avec l’inconstance de l’image maternelle, favorisant l’insécurité ambiante. Nous avons alors analysé le rapport de cette jeune fille avec son père non dans une dynamique œdipienne ou incestuelle mais comme une recherche de pare-excitation dans ce contexte d’incorporation de l’imago maternelle anxiogène.
Deux éléments doivent être pointés au sujet des questions que nous traitons ici : le refus, par la mère, de l’autonomisation de sa fille ainsi que l’économie libidinale du couple parental.
Notre rencontre avec cette mère a en effet montré que celle-ci était loin de se situer comme opposée à la violence administrée par ses fils (qu’elle banalise et situe comme une violence parfois acceptable), argumentant sous forme d’emprise sa sollicitude maternelle : "… mais Déhbia, elle est plus vraiment une petite fille… - Oh je sais bien ! Des fois je sens bien que je devrais pas la voir comme ça. Mais c’est dur la vie, vous savez, et moi j’ai peur pour elle, pour ce qu’elle peut rencontrer dehors, tout ça…" Nous pourrions dire en effet que la violence des fils est l’instrument de l’emprise maternelle sur les filles, ses difficultés de séparation originant ce rapport dépressif à l’objet. Nous avons mis en avant supra la dimension anale-phallique de l’imago maternelle, et ce qui apparaît ici est que cette mère n’accompagne sa fille qu’en tant que mère surprotectrice et empiétante.
Déhbia, rendue à ce statut d’objet anti-dépressif, a manifestement tenté une sortie par le double biais d’une potentielle maternité (une situation de grossesse) et d’une féminité qui se sait séductrice (sa relation avec Salah), conjointes dans une demande au social de faire cesser les coups. On connaît l’échec ultérieur de cette tentative : la mère accompagne sa fille à l’hôpital, les frères rejettent Salah, Déhbia sent que sa séduction est porteuse de sadisme, le frère vient aux portes de l’établissement et l’enjoint de rentrer à la maison, et Déhbia paraît finalement se soumettre à ces impératifs familiaux.
L’immaturité de cette adolescente - nous avions noté son aspect de « petite fille de quatre ans qui aurait chaussé les hauts talons de sa mère… » - reflète à notre sens son incapacité d’assumer l’affrontement à la mère qu’entraîne l’accession à la féminité. En somme, et pour reprendre et prolonger ce que Déhbia avait délivré sur ses propres attitudes sadiques avec son ami, « je deviens comme ma mère, mais elle ne l’acceptera jamais… », et non pas, comme nous pouvions l’entendre : « je deviens comme ma mère, et je ne l’accepterai jamais… ».
Tout aussi invalidante est l’image de féminité que cette mère donne à sa fille, par une liaison illégitime qui violente et châtre imaginairement le père (une femme sans loi)43. Les représentations construites par Déhbia apparaissent marquées par tout autre chose que l’introjection pulsionnelle chez la mère, la référence au tiers n’étant visiblement pas au centre des conduites dénoncées par cette jeune fille. Observons à l’inverse l’adoption d’une modalité introjective par Déhbia elle-même quand elle tente d’élaborer cette expérience qu’elle associe, comme les coups des frères, à la déliaison maternelle. Renvoyer au père idéalisé ce qu’elle vit comme une trahison maternelle montre que la question de la complémentarité est présente dans le processus élaboratif, ce qui confirmerait le travail introjectif.
Nous sommes donc amené à dire que la demande de placement de Déhbia, initiée par un refus de l’emprise maternelle, paraît s’originer dans une modification de son régime d’intériorisation. Nous avancerons par contre que l’éloignement, autre réalité du dispositif, fait apparaître l’impossibilité de cette adolescente de maintenir la modalité introjective, vu son incapacité de perte d’objet. L’imago incorporée, à dominante maternelle et archaïque, reprend progressivement de son importance au cours du séjour, jusqu’à faire minimiser à Déhbia le risque d’être à nouveau battue (et la responsabilité de sa mère à ce sujet) dans son souhait impératif de rentrer à la maison.
Précisons que nous parlons ici de représentations et d’image ou d’imago, c’est à dire d’investissements psychiques juvéniles conscients ou inconscients suscités par des attitudes maternelles, lesquels n’ont une signification que dans cet ensemble fantasmatique, donc hors des jugements de valeurs que chacun peut ou non porter sur des comportements.