e - SEHER ET LA RECHERCHE D’UN SENS

La deuxième situation de violence maternelle que nous ayons saisie concerne Seher, qui fait d’elle-même référence à un héritage filiatif du côté des femmes pour expliquer les coups maternels.

Notre commentaire s’orientera vers la fonction de cette explication « culturelle » donnée par cette jeune fille au sujet de cette violence familiale, que nous ne discuterons évidemment pas au niveau de l’énoncé, cet aspect ayant d’ailleurs été travaillé supra page 42. C’est ici l’énonciation de Seher qui doit être évoquée, puisqu’en réalité deux aspects se succèdent dans les propos de cette jeune fille. En effet, après un premier propos concernant cette notion d’héritage culturel, Seher a souligné l’incohérence et le sadisme de cette conduite maternelle. Cette succession peut nous éclairer sur la valeur défensive de son « explication » par le social, laquelle permet de donner un sens à des attitudes parentales qui lui en paraissent de prime abord dénuées.

Nous devons d’ailleurs observer que ce qui manque le plus dans ce que rapporte Seher, c’est le tiers, la complémentarité sexuelle, ce qui exclut à notre sens toute interprétation par la seule notion de culture, laquelle ne semble guère pouvoir se passer de différence et d’altérité seconde. « Le partenaire humiliant, parental ou à masque parental, abuse (c’est le mot) de son pouvoir (longtemps expérimenté dans l’enfance) lors d’un face-à-face duel (figuré et réel) avec l’adolescent humilié. (…) Entre eux, pas de tiers, pas de référence, pas d’instance surmoïque ; que le meilleur gagne en chair et en os. Relation chargée d’homoérotisme primaire, qui fait agir là où la loi paternelle aurait pu faire penser. » [P. GUTTON, 2002, p227]

Et si une « histoire » est à l’œuvre dans la situation de Seher, ce serait d’abord celle de sa mère, en ce qu’elle inscrit un rapport de cette personne à la violence parentale, rapport repris dans sa relation à sa fille.

Une autre citation de P. GUTTON nous paraît éclairer la problématique en présence : « … le mécanisme privilégié de la mère humiliée est d’être humiliante ; elle cherche son salut par l’humiliation de sa fille. Le couple ainsi constitué est l’exemple d’un double retournement en son contraire. » [op. cit., p230] La mère s’identifiant à son propre agresseur, la fille prenant la place de sa mère alors adolescente, c’est un écho culturel dans un but de répétition que nous voyons opérer ici ; cette répétition, marquée de réceptivité douloureuse et dénarcissisante, les fait entrer toutes deux dans une impasse subjective. La question qui se pose ici est de savoir comment cette mère pourrait s’engager dans l’accompagnement de sa fille pubère, sa difficulté avec sa propre mère la conduisant à retourner contre sa fille, et peut-être contre son mari, la charge agressive alors reçue au titre de sa féminité. Bien en deçà de la « présentation » du père par la mère, c’est ainsi une situation de miroir qui semble organisée en direction de la fille, le souci de « se voir » affiché par Seher durant le premier entretien apparaissant maintenant dans toute sa polysémie.

Nous ne reviendrons pas ici sur ce que nous avons désigné supra page 238 chez cette jeune fille d’une impossibilité de s’extraire de la relation avec l’objet primaire et sur les conditions de son retour en famille. Seher, en lien d’incorporation, est ainsi amenée par son adolescence à rencontrer sa mère elle-même en situation de fille maltraitée. Cette représentation, qui renvoie Seher à sa fonction pour sa mère, introduit le masochisme érogène, lequel vient là aussi signifier que le lien archaïque à la mère primitive n’est pas rompu. Jusqu’à revêtir le masque de la transmission éducative, il permet à Seher de « choisir » et la présence maternelle et les risques de violence physique, la perte paraissant alors la seule expérience dont il faudrait se garantir.

Ce poids générationnel nous fait d’ailleurs retrouver ici ce que nous avons dit au sujet d’Amélie (supra page 315) à propos de l’identification de l’enfant connaissant le traumatisme infantile d’un parent ; nous avons alors évoqué l’identification à l’agresseur pour expliquer le renversement de l’agressivité contre les objets de l’institution, cette observation convenant tout autant à la situation de Seher.