III - 1 - 5 - Les effets du dispositif

a - L’INSTITUTION COMME TIERS… OU COMME IMAGO

Notre travail de recherche a voulu mettre en évidence que la relation à l’objet primaire ou œdipien entraînait des modalités d’intériorisation sur lesquelles reposait la capacité de ces jeunes filles à accéder à la perte de cet objet. Incorporation et introjection ont donc été les deux mouvements à partir desquels nous avons désigné chez elles un travail psychique ayant eu cours dans leurs antériorités, mais s’étant aussi bien déployé durant leurs placements. De ce fait, l’institution ne peut être seulement décrite dans sa fonction d’observation de ces modalités (ce que nous avions fait dans notre présentation de la recherche page 22), et nous devons évoquer maintenant le rôle qu’elle a pu jouer dans les mouvements psychiques que nous avons décrits.

Disons que le cadre peut d’emblée être posé en termes de « rassurant » ou « persécuteur ». Les règles de vie imposées par l’institution semblent en effet directement concerner les problématiques psychiques et intersubjectives de ces jeunes filles, parce qu’elles concernent la loi, le tiers et la nécessité d’accepter la limite, c’est-à-dire la castration symbolique. Puis elles énoncent que la parole et l’élaboration des expériences doivent être privilégiées au passage à l’acte, ce qui souvent contredit implicitement les économies familiales qui sont celles de ces adolescentes. Lors d’un premier temps de leur accueil (ce qui correspond à la période du premier entretien), nous avons observé que toutes paraissaient suffisamment rassurées par ces conditions extérieures au point qu’elles puissent s’identifier à ce que nous pouvons désigner dans ces éléments en tant que modalités introjectives, manifestant le refus de la relation duelle et du masochisme.

En ce sens, ces jeunes filles paraissent attendre de l’institution qu’elle prenne une position de tiers, ce que nous ramènerons à la demande implicite comprise dans les tentatives de suicide de Naïma et de Selma. Une citation, évoquant des adolescents violents et auto-agressifs, paraît recouvrir ce point de vue : « La recherche d’un cadre structurant et rassurant semble être la demande sous-jacente à ces conduites hétéro/auto-destructrices. Le passage de ces jeunes dans des institutions éducatives voire carcérales pourrait être, au moment-charnière qu’est l’adolescence, la chance d’une rencontre avec des adultes proposant un cadre structuré et cohérent… » [L. CORTHAY-CASOT, O. HALFON, 1998, p180] Toutefois au cours de leurs séjours, le maintien de cette attente semble révélateur de la solidité des assises de leur moi, dès lors que peut être poursuivi ce travail introjectif.

Mais que cette modalité d’intériorisation des expériences actuelles fasse défaut, et réapparaît dans le transfert une imago persécutrice contre laquelle ces jeunes filles se retournent, réactualisant la lutte originelle contre l’emprise parentale. Ce vécu d’emprise dans l’établissement est apparu d’autant plus difficile à accepter aux trois dernières jeunes filles de notre clinique qu’il se déploie sans que la présence parentale, libidinalement investie, assure au moins leur continuité narcissique.

Ceci nous renvoie tout logiquement à la place et aux limites de la symbolisation dans le dispositif institutionnel.