b - LA FEMINITE ET LA DIFFICULTE D’Y ACCEDER

Ce jeu adolescent dont nous avons souligné les aspects de désexualisation et d’identification post-pubertaires soutient à notre avis le travail d’intégration de la sexualité adulte, en tant que ce dernier comporte une nécessité de réorganisation de la sexualité infantile, et à partir de retours réguliers à des identifications pré-pubertaires. Car faut-il rappeler que d’une part l’accès à la sexualité adulte ne se fait pas de manière immédiate et définitive, la puberté n’étant que l’apparition, elle-même séquencée, des caractères sexuels secondaires, et que d’autre part la sexualité infantile ne se dilue pas purement et simplement dans le progrès génital mais se maintient par des points de fixation plus ou moins élaborables ou plus ou moins pathogènes que l’adolescence a comme enjeu d’intégrer à l’identification sexuelle adulte. Quelques années apparaissent comme un minimum pour cette transformation d’envergure.

Nous avons observé que la féminité constituait un élément clé pour la compréhension des violences familiales en direction de ces adolescentes, la volonté parentale de réduire, de s’approprier ou de contenir les éclosions génitales adultes constituant le noyau explicatif de ces attitudes offensives. Derrière un aspect « culturel », c’est la question de l’angoisse masculine face au retour du maternel féminin primitif qui a pu apparaître, ou des attitudes maternelles de refus de séparation, dictées par des mouvements d’angoisse dépressive. Ces dernières occasionnent des positions filiales d’attachement à l’objet primaire, en miroir des relations installées par ces parents.

Mais concernant la féminité, notre objectif était bien de mettre en lumière les effets des coups sur les identifications sexuelles de ces adolescentes, ainsi que la manière avec laquelle les caractéristiques de la féminité adulte peuvent être altérées par ces expériences de violence, et notamment les représentations de pénétration et de passivité, de réceptivité et de créativité interne.

Nous avons par exemple souligné supra les conséquences de rivalité à la mère que revêtait pour l’adolescente l’accès à la féminité génitale. Ce va et vient permet justement ainsi, dans son aspect de repli défensif, l’occupation provisoire de positions infantiles apaisant l’angoisse de rétorsion ou le sentiment d’avoir détruit l’objet maternel, cet aspect régrédiant pouvant se manifester par une certaine désérotisation, ou des attitudes de tendresse plus conformes à l’infantile sur lequel ce processus est calqué. A l’inverse, son aspect progressif peut consister en des attitudes génitalisées ostentatoires de la fille en direction de la mère, notamment en ce qui concerne des comparaisons de formes corporelles ou d’effets de séduction sur l’entourage.

Dans notre matériel, cet obstacle au va et vient adolescent (et quelle que soit la position dans laquelle ces jeunes filles sont immobilisées) est bien évidemment porteur d’un plus difficile travail d’identification sexuelle. Car sur cette question la division initiale de notre matériel apparaît une fois de plus, Naïma et Selma manifestent qu’une élaboration de féminité est en cours, certes contrariée par la violence et le désir du ou des agresseurs, mais dans des mouvements qui laissent supposer que les deux aspects de réceptivité et d’intériorité que nous avions présentés dans notre revue conceptuelle organisent leurs identifications sexuées (cf. Naïma page 132, Selma page 176). Notons à ce titre la formulation par ces deux adolescentes de leurs refus des représentations de débauche ou de prostitution suscitées par les agissements de leur entourage, ce qui peut apparaître comme une limite dans l’élaboration de l’identité sexuelle féminine.

A l’inverse, nous avons observé que Déhbia, dans ses attitudes de repli infantile, et sur des modalités qui ne lui donnent pas les moyens d’élaborer la perte de l’objet sur une modalité dépressive, était mise en situation de ne guère pouvoir intégrer une sexualité adulte (supra page 214).

Seher, dont nous avons vu que le rêve était d’être reçue par sa mère « comme une grande », et qui, à 18 ans, n’a visiblement pas l’autorisation de la part de sa famille d’entretenir une relation avec un garçon, n’a pas montré que sa volonté d’être considérée comme une adulte lui avait permis un travail spécifique sur la question de la féminité. Le retournement sur un compagnon ou un conjoint de l’agressivité destinée à la mère (cf. notre citation de FREUD page 79) associé au retour dans le giron de celle-ci reste une hypothèse plausible. Le destin de sa sœur aînée est là pour en témoigner.

Il ne nous a pas davantage été possible de repérer des représentations de réceptivité ou d’intériorité caractéristiques chez Amélie, certes la plus jeune de nos adolescentes, chez laquelle nous pouvons retrouver cette même volonté d’être considérée comme une « grande »…, avant de rentrer chez ses parents de façon impulsive. Le pronostic est le plus pessimiste la concernant, au vu de la dynamique familiale qu’elle a rejoint, et des difficultés propres à la mère pour poser des limites à l’expression pulsionnelle du père d’Amélie. L’identification à l’agresseur que cette adolescente a donnée à voir peut faire craindre un rapprochement avec son père, dans lequel les caractéristiques de féminité seraient déniées par chacun, un jeu de places incluant la mère pouvant encore faire perdre à celle-ci.

Nous voyons enfin que pour ces deux jeunes filles, d’ailleurs victimes de violence maternelle ou paternelle, c’est l’absence de représentation de tout autre soutien parental qui constituerait finalement ce qui est le plus traumatique dans leurs situations, et le plus inhibant pour cet accès à une féminité adulte. Les scènes primitives qu’elles délivrent ont plusieurs fois confirmé de fait. Ceci est aussi un écho à ce que nous avions évoqué supra page 315 comme une tentative de ces adolescentes de sauver le parent maltraitant. Mais n’est-ce pas pour cette raison que l’identification sexuelle est partiellement désinvestie ?