Introduction

Nous naissons pour ainsi dire provisoirement quelque part.
C’est peu à peu que nous composons en nous le lieu de notre origine, pour y naître après-coup et chaque jour définitivement.
Rainer Maria Rilke

La pratique quotidienne de la psychologie interroge les référents théoriques, leurs adéquations à la clinique et la pertinence des dispositifs utilisés, ceci d’autant plus fortement lorsqu’elle s’exerce hors les murs psychiatriques dans un contexte juridico-social.

Plusieurs années d’exercice de psychologue dans un centre de formation accueillant des chômeurs longue durée, des travailleurs de bas niveau de qualification et des primo-arrivants, suivies d’une pratique au sein de l’Antenne de lutte contre les toxicomanies rattachée au Service médico-psychologique régionale des prisons de Lyon (SMPR) m’ont amenée à interroger les liens entre disqualification sociale et réalité interne, étayages sociaux et souffrances psychiques.

Ce passage d’un public à un autre, de personnes désaffiliées par l’exclusion sociale ou par l’exil – premières explorations de mon DEA - à de jeunes délinquants attaquants les codes et les règlements sociaux, parfois les lois sociales fondamentales - dans certains types de crimes - me confrontait à une désaffiliation agie.

L’homme fonde son identité sur la culture dans un rapport essentiellement symbolique où il se reconnaît comme sujet du groupe. Le rapport à la culture se construit au cours de l’enfance et de l’adolescence puis se met en sourdine de longues années pour réapparaître aux moments de crise. L’assignation à une place sociale consentie renforce le sentiment de participation à un ensemble. La non-assignation ou le refus de celle-ci induisent une marginalisation du groupe culturel.

Les malaises actuels dans la civilisation sont à l’origine de souffrances psychiques et de retrait du monde social. Ils sont produit par des défaillances des garants métasociaux et métapsychiques, des déréglements de leurs fonctions d’encadrement, de croyances partagées et de représentations communes selon René Kaës 1 .

D’autres auteurs abondent dans ce sens, de nouvelles pathologies naissent du rapport au socius et à ses constituants, les groupes sociaux. Serge Tisseron parle de troubles du rapport au groupe 2 et Alain Erhenberg annonce que l’homme contemporain, l’homme incertain, assure seul son avenir.

Les fragilités des organisations sociales influent sur le devenir du sujet et brouillent les lieux de traitement psychique du lien Moi/environnement des plus archaïques aux plus élaborés et sont à l’origine de pathologies narcissiques identitaires.

Les pathologies du malaise dans la civilisation se déclineraient selon trois sortes de troubles d’après R. Kaës :

De nombreuses équipes de chercheurs se sont penchées sur ces nouvelles problématiques, entre errance et exil intérieur, au sein du Centre de Recherche en Psychopathologie et en Psychologie Clinique de l’université Lyon 2 3 , à l’ORSPERE 4 , au laboratoire du changement social de l’université Paris 7.

Je me rattache à l’ensemble des recherches traitant des liens sociaux, sur les liens intra et interpsychiques, subjectifs et intersubjectifs entre sujet et société dans la spécificité de mon terrain de pratiques, le milieu carcéral.

Les jeunes délinquants incarcérés entament ou poursuivent un parcours de disqualification sociale. Qu’en est-il chez eux de la structuration de la psyché s’étayant sur un processus de socialisation ?

J’ai centré mes recherches autour de deux questions.

La première hypothèse porte sur la transmission familiale et transgénérationnelle du socius.

Un "medium-culture" psychiquement absent du fait d’un défaut de transmission du socius entraverait la relation aux institutions dans leurs fonctions d’étayage et de construction de la psyché.

Sous-hypothèse : la représentation du groupe primaire et des filiations souligne les particularités de transmission du socius, dans le sens où la complexité du groupe dans ses liens générationnel et d’alliance est le paradigme de tout lien groupal.

On trouverait un échec à se construire dans la complexité des rapports de filiation et dans leurs articulations.

La seconde hypothèse interroge les liens aux représentants de la culture, aux institutions :

La distorsion de la "socialisation de la psyché 6 " 7 se traduit plus particulièrement dans le rapport aux institutions en tant que lieu d’affiliation. Les institutions qui introduisent à l’imaginaire social, différenciateur des espaces intimes, "intermédiaires" et sociaux ou institués ne rempliraient pas cette fonction.

Sous–hypothèse : Alors que l’acte délinquant tente avec difficultés de créer de l’histoire, le placement en institution, contrainte à symboliser placerait le sujet dans sa dimension historique et affective et pourrait in fine ouvrir à de possibles affiliations groupales, institutionnelles ou culturelles.

La poursuite de l’introduction est composée de trois parties :

Une introduction à la méthodologie, une enquête psychosociologique comportant les méthodologies de l’enquête et ses résultats et enfin la méthodologie clinique.

Notes
1.

Les théories psychanalytiques du groupe.

2.

Article du Monde de mai 2001 où il analyse les relations interpersonnelles dans le " loft" de M6.

3.

Thèses de psychologie clinique de Florence Jayle-Morel et de Valérie Colin.

4.

Observatoire Régional Rhône-Alpes sur la Souffrance Psychique en Rapport avec l’Exclusion.

5.
6.

Formulation empruntée à C Castoriadis : 1999, Figures du pensable, Paris, Seuil,

7.