3.1 Préexistence du groupe à la psyché individuelle

L’idée du " déjà-là", du préexistant nous mènera à aborder et à lier les deux legs que reçoit le nouveau–né : le corporel et le culturel. Puis nous nous centrerons sur le temps de l’originaire, premières transmissions et transformations psychiques.

En introduction, je souhaite rappeler que les premiers temps de la vie sont marqués par le passage à l’humain, la reconnaissance du nourrisson comme appartenant à la communauté de ses ancêtres, l’humanité.

Avant de clore Totem et tabou, Freud se penche sur la question de la transmission du totem et des tabous en leur qualité d’organisateurs du groupe social :

‘"Si les procès psychiques ne se poursuivent pas d'une génération à la suivante, chacune devant à chaque fois acquérir son attitude par rapport à la vie, il n'y aurait dans ce domaine aucun progrès et pratiquement aucun développement 31 ".’

La transmission de l’héritage culturel, des organisateurs sociaux entre générations soutiennent pour Freud à cette époque l’idée d’une trajectoire "progrédiente" de la civilisation. Dans Totem et tabou, il écrit que certains se retirent du monde social. "Dans ce monde réel évité par le névrosé règnent la société des hommes et les institutions créées en commun par eux ; se retirer de la réalité est en même temps sortir de la communauté humaine 32 ", et au cours de L’avenir d’une illusion, il affirme que " …chez tous les hommes, sont présentes des tendances destructrices, donc antisociales et anticulturelles…"

Plus tard, il notera qu’à part l’amour d’une mère pour son fils, les affects sont ambivalents et comportent une part d’agression 33 .

Malaise dans la culturel déploie une vue du monde plus pessimiste :

‘" De toute façon, si nous considérons combien nous avons mal réussi en ce qui concerne précisément ce secteur de prévention de la souffrance (sociale), le soupçon s’éveille en nous que là–derrière pourrait aussi se cacher une part de l’invincible nature, cette fois–ci une part de notre propre complexion psychique 34 ".’

L’écriture de L’homme Moïse et la religion monothéïste, entamée à Vienne, s’est achevée à Londres avec en toile de fond la montée du nazisme et l’exil de la famille Freud. Freud y écrit : "Nous vivons en un temps particulièrement curieux. Nous découvrons avec surprise que le progrès a conclu un pacte avec la barbarie".

Ses pensées le conduisent à travers la recherche des sources de l’humain à la découverte de l’irréductible inhumanité en chacun, de la monstruosité de l’humain au xxème siècle.La question de l’humain, de l’humanité en chacun demeure un mystère. Nous en reparlerons plus loin. Nous sommes unis par la reconnaissance que nous avons les uns les autres de l’humanité, d’un fonds commun d’humanité. Comment se départir de la vie animale ? est une interrogation réitérée dans les textes sociaux de Freud. Ne dit-il pas que la violence est au cœur de la création d’une communauté humaine, de la culture par le meurtre du père mais également par les interdits, les tabous s’opposant à de probables désirs ?

Où est l’humanité et la reconnaissance de l’humanité : se reconnaître comme appartenant à une même communauté, celle des humains au–delà des différences culturelles ?

Toutefois, quelles qu’en soient les contingences, le sujet existe comme maillon d’une chaîne de générations. "L’individu effectivement mène une double existence : l’une où il est lui–même sa propre fin et l’autre comme membre d’une chaîne à laquelle il est assujetti contre sa volonté ou du moins sans la participation de celle-ci" écrit Freud en 1914 dans Pour introduire le narcissisme.

D’une part l’homme (der Mensch) est un héritier et d’autre part il est un agent de transmission. Il est issu du groupe et géniteur de la continuité de celui–ci.

Qu’en est-il des deux legs que reçoit le petit d’homme à la naissance et dont il deviendra le passeur? Nous avons dit plus haut que tout être humain hérite de deux formations avec lesquelles il aura à composer tout au long de sa vie : le corps et la culture dans laquelle il est né.

Comment corps et culture se rejoignent, s’intriquent, se superposent ?

Notes
31.

p 378.

32.

P 282.

33.

Malaise dans la civilisation

34.

P 29.