3.2.2 Le surmoi individuel

Le surmoi apparaît dans l’œuvre de Freud dans Le moi et le çà en 1923 suite à la conceptualisation de la seconde théorie des pulsions qui oppose et conflictualise pulsion de vie et pulsion de mort.

Auparavant, en 1907, dans Actions compulsionnelles et exercices religieux, Freud parle de "sentiment de culpabilité inconscient". Plus tard, Pour introduire le narcissisme en 1914, intègre le terme d’Idéal du Moi.

‘"Mais c’est la prise en considération des délires d’observation, de la mélancolie, du deuil pathologique qui conduira Freud à différencier, au sein de la personnalité, comme une partie du moi dressée contre une autre, un sur–moi qui prend pour le sujet valeur de modèle et fonction de juge. Une telle instance, Freud la dégage d’abord dans les années 1914–15, système comprenant lui–même deux structures partielles : l’idéal du moi et une instance critique" 52 .’

Freud remanie son concept au long de nombreux écrits tant sur le plan de la psychologie individuelle que sur celle des masses et ce jusqu’à L’homme moïse et la religion monothéïste.

Le Surmoi freudien est une instance qui se construit chez l’enfant après l’oedipe. Il prend le relais d’interdits extérieurs à la réalisation de la pulsion qu’elle soit érotique ou agressive. Ceci parce que l’enfant intériorise progressivement les interdits transmis par ses parents. Le surmoi acquiert des fonctions d’observation, de censure, de critique. Le moi tient compte avant toute action de la position critique du surmoi.

‘"Le surmoi applique le critère moral le plus sévère au Moi qui lui est livré désemparé ; il représente de façon absolue la revendication de moralité et nous saisissons d’un coup d’œil que notre sentiment de culpabilité morale est l’expression de la tension entre Moi et Surmoi" 53 .’

Les renoncements pulsionnels imposés par le Surmoi provoquent non pas du déplaisir comme cela est le cas lorsque les renoncements sont dictés par des objets externes, parents ou substituts parentaux, mais de la satisfaction. Le moi est dans une relation de dépendance au surmoi.

Ce sentiment de satisfaction est alimenté par les premières expériences de renoncements récompensées par des manifestations d’amour des objets parentaux d’une part et d’autre part par la peur de la perte d’amour de ces mêmes objets. Le surmoi se situe dans cette lignée intériorisée, dans un lien identificatoire aux parents d’abord, à une position paternelle ensuite. Le Surmoi du sujet hérite des Surmoi parentaux, identification d’inconscient à inconscient. Le Surmoi comme instance post oedipienne dénote la qualité du complexe d’Oedipe.

‘"En somme quand Freud parle du Surmoi héritier du complexe d’Œdipe, ne faut-il pas entendre avant tout que c’est de "l’après" la sexualité infantile qu’il s’agit, du reliquat "conclusif" de l’ensemble des relations d’objet infantiles pérennisées sous la formes des" imagines les plus anciennes" 54 . ’ ‘Cette remarque de J-L. Donnet intègre les thèses de M. Klein quant à la prise en compte de la formation du surmoi précoce au cours de la période préoedipienne. Pour M. Klein, le surmoi est une construction précoce, pendant les toutes premières relations mère–enfant, lors de la position schizo-paranoïde puisqu’il s’agit d’un conflit ambivalenciel sur un objet intériorisé. Lorsqu’un objet investi de façon ambivalente est intériorisé, il peut être surnommé “ Surmoi ". M. Klein reprend l’image de la relation au sein, bon ou mauvais. Le Surmoi précoce s’avère sadique et persécuteur. ’ ‘"Le Surmoi primitif apparaît ainsi comme la part des objets primaires qui ne peuvent être assimilés dans le Moi, soit par excès de persécution soit par excès d’idéalisation, les deux étant en fait toujours présents et liés" 55 affirme Jean Bégoin. ’

Dans la compréhension des sujets que nous étudions, ces idées sont d’une très grande importance car le Surmoi joue un rôle capital, rôle le plus souvent tyrannique que nous pourrions méjuger de prime abord.

Le Surmoi ne sépare pas l’acte et la pensée. La pensée et l’acte sont de même teneur et le conflit Moi /Surmoi peut se réduire à un conflit interne. Dans le "Ce n’est pas moi" de Jean, on perçoit combien l’acte et la morale ne font pas conflit puisque la pensée n’y est pas. On peut même supposer que la pensée, souhait de réparation, de don est porteuse d’une position idéale et non d’une pulsion agressive. La pulsion agressive disparaît au profit de la bonne intention.

Le Surmoi a un fonctionnement autonome par rapport au Moi. Toutefois, la relation du Surmoi au Moi peut être de nature sadique. Le Moi est alors dans une position masochiste. Par le besoin de punition, le Moi agit une pulsion d’agression vers l’extérieur, sur un objet qui n’est alors "qu’un point de "réflexion" de l’agression : le Surmoi agresse le Moi comme l’objet aurait été agressé par le Moi-Çà. L’identification à l’objet semblerait se réduire ici, à la limite, à la réintériorisation d’un objet purement projectif, dépourvu sinon de consistance, du moins d’existence propre 56 . " Plus loin J-L. Donnet souligne dans l’acte agressif "la virtualité d’un appel à l’objet" .

André Green résume la particularité du Surmoi parmi les trois instances psychiques de laseconde topique :

‘"La structure la plus complexe en terme d’espace est sans doute celle du Surmoi. D’abord à cause de sa double nature, enracinée dans le Çà et produit d’une division du Moi. Il est clair, pour quiconque s’intéresse aux effets pathologiques du Surmoi, que celui–ci se révèle parfois d’une cruauté telle qu’on ne peut éviter de penser que ses sources se rattachent bien au Çà. Mais par ailleurs le rôle de l’identification nous renvoie à une problématique issue de la division du Moi : une part est consacrée à l’investissement d’un objet, tandis que l’autre subit l’altération impliquée par l’identification 57 ". ’

Pour Freud, le Surmoi signe le passage du maternel, le monde sensoriel au paternel, le monde de la pensée, de l’intellectuel. Le Surmoi est défini comme une autorité paternelle intrapsychique. En ce sens, il est l’héritier du complexe d’Œdipe qui ne s’installe dans le Moi qu’au terme d’un long développement. Toutefois, le Surmoi se construit par identification aux Surmoi parentaux. Il assure, de sus de ses fonctions morales voire quasi persécutrices, des fonctions de protections, "joue un rôle de puissance protectrice du destin 58 " .

L’acte agressif de Jean sur la personne d’un inconnu le met-il à l’abri d’autres pulsions plus destructrices pour le Moi : fantasmes parricides de l’adolescence ? Danger de la proximité incestuelle avec sa belle–mère ?

La complexité du Surmoi réside dans ses origines comme le dit A. Green mais aussi dans la multiplicité des personnages qui l’habitent : la mère, le père mais aussi l’environnement familial, et la part transgénérationnelle de la transmission d’un Surmoi à un autre.

In fine, le Surmoi englobe trois fonctions : la conscience, l’autocritique et l’idéal. Les interrelations entre ses trois fonctions ont une potentialité transformatrice, a contrario, leurs contenus sont déterminés dès la phase post- oedipienne. Ils sont constitués des différentes strates des relations internes aux objets de la petite enfance, imagos maternel et paternel et groupe familial et social environnant. Les relations persécutrices, morales et protectrices varient d’un individu à l’autre mais sont chez chacun invariables et anonymes. Les transformations éventuelles se dérouleront au sein des liens entre Surmoi et Moi par le jeu des identifications. Nous en parlerons plus loin lorsque nous aborderons les remaniements psychiques à l’adolescence.

Notes
52.

Laplanche & Pontalis, Vocabulaire de psychanalyse.

53.

La décomposition de la personnalité psychique, p 85.

54.

J-L Donnet, 1995, p 30.

55.

1995, p 65.

56.

J-L Donnet, 1995, p 63.

57.

2002, p 123.

58.

idem