3.2.3 Le surmoi collectif 

La famille est le parangon initial du collectif :

‘"Le résultat du travail de l’enfance est d’abord le surmoi, travail essentiellement intersubjectal parent–enfant dans lequel on devrait inclure …le surmoi groupal en particulier familial" 59 . ’

Pour Philippe Gutton, le Surmoi est mandant de l’altérité parentale au cours de l’enfance et est une instance porteuse plus particulièrement de l’autre en soi, des autres en soi.

Dans Malaise dans la civilisation, Freud énonce deux origines du surmoi : surmoi d’origine parentale et Kultur Uberich, surmoi culturel, surmoi civilisationnel qui garde sa double portée, interdicteur et protecteur :

‘"La culture maîtrise donc le dangereux plaisir–désir d’agression de l’individu en affaiblissant ce dernier, en le désarmant et en le faisant surveiller par une instance située à l’intérieur de lui- même, comme par une garnison occupant une ville conquise" 60 . ’

Par extension et du fait de la formation du Surmoi et de son caractère intrinsèquement social, Freud nomme "angoisse sociale" l’angoisse de la perte d’amour.

Au cours de sa conférence,  La décomposition de la personnalité psychique 61 , Freud affine la notion de Surmoi collectif qui se détache des objets parentaux primaires pour s’accorder à une éthique culturelle.

‘"Au cours du développement, le Surmoi adopte aussi les influences des personnes qui ont pris la place des parents, donc des éducateurs, des maîtres, des modèles idéaux. Il s’éloigne normalement de plus en plus des individus parentaux originaires, il devient pour ainsi dire plus impersonnel 62 ". ’

La notion de Surmoi culturel repose sur l’hypothèse phylogénétique de l’individu :

‘"L’humanité ne vit pas entièrement dans le présent ; dans les idéologies du Surmoi, le passé continue à vivre, la tradition de la race et du peuple, qui ne cède que lentement la place aux influences du présent, aux nouvelles modifications : aussi longtemps que passé et tradition agissent à travers le Surmoi, ils jouent dans la vie humaine un rôle puissant, indépendant des conditions économiques 63 ".’

Cette portée phylogénétique, prisée par Freud, participe d’une vision du développement de la psyché individuel en parallèle avec l’histoire de la civilisation. Le Surmoi culturel de Freud reposerait donc sur l’hypothèse d’une mémoire phylogénétique de l’individu.

De plus, J-L. Donnet, reprenant la lecture de Psychologie des foules et analyse du Moi montre bien la dimension sociale du Surmoi par un "mouvement de réextériorisation du surmoi avec une réobjectalisation par une libido inhibée quant au but...Le surmoi apparaît comme un espace de transit identificatoire, il reste "destiné" au partage communautaire. En ce sens, pour Freud, il n’y a guère de Surmoi "individuel", et la deuxième topique est transubjective et transgénérationnelle 64 ".

Quant à Lacan, il soutient que le Surmoi individuel d’origine parental est à la fois interdicteur et consolateur, alors que le Surmoi collectif, dont l’origine est le discours-du–maître, ne comprend aucune fonction consolatrice et ne propose que des “ idéaux de néant ”.

‘“ Le surmoi collectif, lui, complète les interdits comme l’appareil juridique complexifie les interdits majeurs de l’inceste et de meurtre, ne promet rien d’autre que la normalité…mais renouvelle la qualité persécutive du Surmoi originaire  65 ". ’

Lacan ajoute que cette instance a pour but d’humaniser le sujet.

‘"A contrario, le sujet qui rencontrera des difficultés au niveau de l’installation et de l’internalisation du Surmoi, connaîtra des déboires quant à la possibilité de témoigner à ses pairs de ses vertus et humanités. 66 "’ ‘"Ainsi Surmoi individuel et valeur culturelle ne sont pas dans des rapports étanches qui les isolent l’un l’autre ; ils se stimulent mutuellement et potentialisent les forces qui les animent 67 "’

écrit A. Green s’appuyant sur les pensées développées par C. Castoriadis dans Les figures du pensable.

Effectivement C. Castoriadis fait part des difficultés que rencontre la psyché dans son parcours de socialisation. Face à cette souffrance provoquée par la socialisation, la psyché cherchera toujours à retrouver un idéal monadique connu au premier temps de sa vie. C’est dans l’extension à une communauté, groupe, clan, nation, que la clôture initialepermettra un retour à la toute–puissance perdue de la monade psychique :

‘" Les tendances destructrices des individus s’accordent admirablement à la quasi-nécessité pour l’institution de la société de se clore, de renforcer la position de ses propres lois, valeurs, règles, significations comme uniques dans leur excellence et les seules vraies, par l’affirmation que les lois, les croyances, les dieux, les normes, les coutumes des autres sont inférieurs, faux, mauvais, abominables, diaboliques. Et cela à son tour est en harmonie complète avec les besoins de l’organisation identificatoires de la psyché de l’individu. Car, pour celle–ci, tout ce qui se trouve au-delà du cercle des significations qu’elle a si péniblement investies au long de son chemin vers la socialisation est faux, mauvais, a-sensé 68 ". ’

Cette assertion démontre la fragilité du Surmoi individuel qui résiste mal aux contaminations collectives. Se départir d’un Surmoi culturel porte à mal la psyché individuelle au point de conduire à un défaut d’identification à l’humanité.

Notes
59.

P Gutton, 2002, p 149.

60.

P 66.

61.

Freud, 1933, Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, Gallimard, 1984, p 80 – 110.

62.

P 90.

63.

Freud, La décomposition de la personnalité psychique, p

64.

1995, p 40.

65.

Rassial Le passage adolescent, p102

66.

P Givre, 2002, p 102.

67.

A. Green, 2002, p 224.

68.

P 192.