3.2.4 Les fonctions idéales

Nous avons vu comment le Surmoi impose un renoncement pulsionnel parfois avec férocité, ce renoncement procure du plaisir et s’attache alors en compensation la formation d’idéaux, idéaux qui renforcent le renoncement.

‘"La contrepartie acquise par le renoncement pulsionnel va offrir ce trait surprenant de ne pas se borner à constituer une simple consolation, mais à remplir une tâche autrement importante. Elle devient (selon Freud) une modification de la valeur, le bien suprême…La fonction de l’idéal s’installe alors sur les lieux mêmes où la satisfaction pulsionnelle ne peut avoir lieu 69 ".’

Notre souci n’est pas de retracer les controverses autour de l’Idéal du Moi. Nous adhéronsaux thèses de Daniel Lagache qui le considère comme une part du Surmoi. Il faut reconnaître que Freud a laissé dans ses textes quelques ouvertures à discussion. J’en retrace un rapide historique.

Pour Introduire le narcissisme maintient synonyme Moi idéal et Idéal du Moi. Ces deux fonctions idéales prennent leur origine dans le narcissisme primaire pour s’enrichir des identifications aux objets parentaux, puis aux idéaux collectifs. Ils tiennent des rôles de censure, de conscience morale, d’observation de soi mais également d’estime de soi. En 1923, le terme Surmoi recouvre les deux premières notions et Idéal du Moi et Surmoi désignent le même concept. En revanche, dans la XXXIème conférence, l’Idéal du Moi devient une fonction du Surmoi : "Il (le Surmoi) est aussi le porteur de l’Idéal du Moi auquel le Moi se mesure, à quoi il aspire, dont il s’efforce de satisfaire la revendication d’un perfectionnement toujours plus avancé" 70 . Les trois tenant-lieux d’idéal dans la psyché se différencient : le Surmoi inclut l’Idéal du Moi et le Moi idéal se désolidarise des deux autres notions devenant une entité à part entière.

Qu’en est-il des liens entre Moi idéal – Idéal du Moi et Surmoi ?

Pour D. Lagache, le Moi idéal doit être considéré comme une fonction autonome de l’Idéal du Moi et du Surmoi. L’auteur s’appuie sur les spéculations de Nunberg, le moi idéal est issu du narcissisme primaire, de l’union du Moi et du Çà. Il appartient donc à une période pré-oedipienne. "Il est l’expression narcissique de la toute-puissance 71 ". Le Moi idéal, issu des relations primaires, se nourrit des identifications à la mère, vécue alors comme toute–puissante. Il est le support des identifications héroïques. Le Moi idéal se définit par son aspect unitaire, monadique (pour user du terme de C. Castoriadis) où l’autre existe mais ne peut être entendu. L’adhésion au leader de Psychologie des foules et analyse du Moi, à une idéologie commune est de cet ordre.

G. Diatkine en repère l’état de conformisme, dans lequel le sujet se soumet à ce que son entreprise, son parti, ou son église exigent de lui, sans éprouver ni ambition, ni culpabilité par rapport à autrui. Lagache lui attribue la toute puissance magique, source durable d’exigences exorbitantes, non seulement envers les autres mais envers soi-même. Il vient combler le vide consécutif au sevrage, fauteur de la dépression primitive.

‘"Le moi idéal pourrait alors se définir comme un fantasme dans lequel nous utilisons un double narcissique pour nous identifier à notre idéal du moi et retrouver notre mère primitive, en déniant la réalité des conflits internes qui font que le moi n’est pas un moi-plaisir-purifié… le moi idéal non seulement n’est pas incompatible avec la présence du Surmoi, mais il est nécessaire à son fonctionnement 72 " .’

R. Kaës définit deux grandes catégories d’idéologies qu’il rapporte au Moi idéal ou à l’Idéal du Moi.

Pour Freud, le Surmoi infantile comprend une part régressive : le refoulement, une part figurative, l’idéal du moi.

L’idéal du moi s’ancre dans une représentation de parents idéaux qui parcourt toute l’enfance dans un souhait de recherche perfectionniste.

‘"Ritvo et Solnit affirment : "On peut considérer que l’idéal du moi provient de trois sources principales : l’idéalisation des parents ; l’idéalisation de l’enfant par les parents et l’idéalisation de soi par l’enfant…Cet idéal du moi peut avoir une influence sur la formation du Surmoi en augmentant la capacité de l’enfant à reconnaître et à suivre dans de justes limites un comportement socialement acceptable 75 " .’

Comme on l’a vu, l’idéal du moi est composé d’idéaux multiples parfois contradictoires.

A la dimension conflictuelle entre Moi idéal et Idéal du Moi s’adjoint les conflits entre le Moi et le Surmoi. Toutefois, l’équilibre narcissique se nourrit des images idéales transmises au Moi par le Surmoi. Le Moi devra se dégager d’une trop grande emprise du Surmoi, c’est le travail des identifications, récurrent tout au long de la vie psychique.

‘" La question du Surmoi culturel se ramène simplement à la façon dont sont investis les idéaux successifs qui sont proposés au sujet, et dont son Surmoi le punit s’il s’en écarte. Ces idéaux ont deux sources bien distinctes. Les uns proviennent du monde qui l’entoure présentement, et qu’il adopte par une succession d’identifications secondaires à des objets investis ou perdus. Les autres proviennent des idéaux des générations précédentes, qui lui sont transmis par voie transgénérationnelle au début de sa vie 76 ".’

R. Kaës montre bien comment une position mytho–poétique n’est jamais tout à fait acquise. L’éventuel retour à des adhésions idéologiques plus coercitives demeure toujours probable.

Nous n’avons pas insisté sur les fonctions du Moi, formation intermédiaire entre le Çà, le Surmoi et la réalité externe.

‘"On notera une fois de plus le passage qu’établit Freud entre le groupe de dedans et le groupe du dehors : c’est dire que les relations du Moi et de ses partenaires avec lesquels il a négocié sont compréhensibles à l’instar de celle du Moi et du Surmoi si on les ramène aux relations du groupe familial 77 " écrit R. Kaës. ’

Nous appréhendons déjà combien l’adolescence va solliciter le Surmoi dans sa capacité d’ouverture vers de nouvelles identifications différenciées se confrontant aux identifications familiales, vers de nouvelles pensées s’opposant aux idéologies parentales ou a contrario clôturant soit sur l’existant soit sur un groupe totalitaire, réducteur de la pensée.

Notes
69.

Green cité par R. Kaës, 1980 b, p 10.

70.

P 91.

71.

D Lagache, 1995, p 28.

72.

G Diatkine, p 1576.

73.

1980 b, p149.

74.

1980b, p 152.

75.

M Laufer, 1980, p 594.

76.

P 1556

77.

La catégorie de l’intermédiaire et l’articulation psycho-sociale, p 591