3.3.1 Lamzi, l’histoire d’une répétition sans issue

La clinique, préambule et soutien aux interrogations théoriques s’ancre sur la rencontre avec Lamzi, lors de sa seconde incarcération à l’âge de 21 ans. Son histoire est ponctuée d’abandons, de ruptures puis d’attaques violentes contre l’unique objet investi durant son enfance et son adolescence et dont le décès renforce la présence psychique omnipotente, sa grand-mère maternelle.

Lamzi a été abandonné par sa mère à l’âge de 4 ans alors que son père est condamné à 15 ans d’emprisonnement pour hold-up. Sa grand-mère maternelle souhaite l’adopter :" Ma grand-mère, elle s'est battue pour moi. Elle a réussi à me récupérer."

Il est le cadet d’un an d’une fratrie de deux garçons. " Mon frère, c'est le contraire de moi. C'est un gros balèze, calme. L'année dernière, il a fait huit mois de prison. Ce n'était pas pour lui."

A 6 ans, il est placé dans un foyer avec son frère, suite à une hospitalisation de sa grand-mère.

Son frère retourne vivre chez sa grand-mère à 11 ans alors que Lamzi est maintenu en foyer."J'en suis sorti à 14 ans parce que j'ai fait des conneries. Ensuite, je suis allé en famille. Mon frère est resté en foyer moins longtemps que moi. Ma grand-mère a d'abord adopté mon frère puis moi. Mon frère a été vivre chez ma grand-mère quand il avait 11 ans parce que les éducateurs avaient peur pour ma grand-mère parce que je faisais trop de conneries. J'allais chez ma grand-mère une fois par mois. Mon grand frère y allait plus, tous les quinze jours. A 15 ans ½ , après être retourné chez moi (chez sa grand-mère), je suis allé en prison pour la première fois."

Ses comportements violents sont à l’origine de la réserve de sa grand-mère et des équipes éducatives à son égard. Il est hospitalisé dans plusieurs services psychiatriques entre 13 et 15 ans. Lors d’un jugement en tant que mineur, sa condamnation est assortie d’une obligation de soin qu’il suivra en CMP.

Lors de sa première incarcération d’un mois et demi, il rencontre à plusieurs reprises la psychologue affectée au bâtiment des mineurs. D’autres délits postérieurs, mais durant sa minorité, ont engendrés une peine de prison à effectuer, à sa volonté, au cours de l'année suivante. Lamzi ne s’est pas résolu à cette démarche d’incarcération volontaire. Il insiste sur le caractère "fou" d’une telle démarche d’auto-enfermement.

Plus tard, lorsque j’énonce les consignes préalables à la réalisation de l’arbre généalogique, Lamzi déclare que la feuille lui paraît trop grande.

Dans ma famille, il y a seulement ma grand-mère, c'était ma mère, mon père, ma sœur…A part ma grand-mère, je ne vois personne, je vais juste mettre ma grand-mère. Ma grand-mère disait : "je t'aime plus, toi, que mes propres enfants. " Elle m'aimait trop, elle est décédée parce que je lui en ai trop fait baver. Les parloirs …la prison, çà l'a rendue plus inquiète. L'inquiétude l'a rendue malade. Ses enfants l'ont dit, ma mère me l'a dit. A 78 ans, elle venait me voir en prison. Ce sont mes yeux (cette expression réitérative dans son discours appartient aux idiomes du Maghreb où une partie du corps est liée à un être cher et tout particulièrement les yeux. Ceci correspond à une expression française surannée " tenir à quelqu’un comme à la prunelle de ses yeux"). C'est encore mes yeux. Plus les années passent et plus elle me manque: ses mains sur ma tête, sa chaleur, son odeur, sa voix… ses cris aussi et son cœur. Elle valait cent mamans (sans maman). Dans cette famille, il y a trop de différences…de préférences…Comme elle disait : le jour où je mourrai, ils vont te manger…"’

Ce qui retient mon attention dans le discours de Lamzi est le lien unique au substitut maternel, sa grand-mère à l’issue des abandons simultanés de ses deux parents, volontairement par sa mère et occasionné par la longue incarcération paternelle. Ce lien privilégié, décrit et revendiqué par Lamzi, avec sa grand-mère évoque les premières relations mère–enfant. Winnicott parle de ce moment de pathologie à deux où mère et nourrisson vivent de manière fusionnelle. Lamzi ressent sensoriellement la présence de sa grand - mère à ses côtés. Ce monde peuplé d’odeurs, de voix, de toucher est le monde de l’originaire, indifférencié. L’enveloppe sensorielle le protégeait. Hors de celle–là, il risque de rencontrer les pulsions cannibales des autres membres de la famille.

Fantasmatiquement aurait-il tué sa grand-mère ? "La prison, çà l’a rendue malade". La dimension incestuelle du lien entre cette femme et son petit–fils a transgressé un premier interdit celui de l’inceste mettant en péril le second, le meurtre. Aucune barrière n’entrave plus la levée du dernier interdit, régression à la horde primitive : le cannibalisme.

Le double maternel est investi avec plaisir, "l’unique objet de plaisir" et rejeté, attaqué dans un balancement continu entre bon objet et objet persécuteur. Le maintien de la séparation est garanti par les éducateurs, groupe anonyme, sans pour autant créer de séparation psychique.

Qu’en est-il pour Lamzi du travail d’adolescens, des changements d’objets alors que l’enfance le laisse en déshérence devant un objet unique ?

Le réel des retrouvailles avec sa grand–mère le conduit immédiatement en prison. Loin d’apaiser ses pulsions, ce rapprochement ne fait qu’enflammer le pulsionnel au mépris d’un possible détachement psychique.