2.2.2 Les auteurs de délits, primaires

Michel, 20 ans, est un grand jeune homme, au large visage peu expressif. Le caractère déficitaire de sa personnalité interroge toujours sur la portée "éducative" de l’enfermement pénal. Il a suivi une scolarité parallèle en classe de perfectionnement et en section spécialisée.

Il est issu d’un couple mixte : tsigane–français sédentaire. Sa famille est sédentarisée mais a conservé une organisation clanique.

Michel subit sa première incarcération « oui, mais dernière… ». Il a été mis en examen pour violences et vol de voiture et vient d’être condamné à 16 mois de prison. Le procureur demandait 7 ans en première instance et a fait appel. Michel n’exprime aucune culpabilité quant à ses actes.

A 18 ans, permis en poche, son frère lui offre une voiture. Celle - ci est la cause de sa dérive, dit-il : iI arrête de travailler, et "traîne" toujours dans sa voiture avec sa "femme" et des copains, "a de mauvaises fréquentations". Il se met à boire de la bière, de la « gnole » … tous les alcools… tous les jours lorsqu’il n’était pas avec sa "copine", avec des copains, jamais seul. Il fume aussi du cannabis et boit surtout avec Freddy, un mineur qui est dans son affaire de vol de voiture. Ce mineur est connu des services de police et Michel pense que là est la cause de son incarcération …"quand le juge a su que j’étais dans la même affaire que Freddy".

Lors de son arrestation, il avait sur lui de l’herbe qu’il venait d’acheter. Par contre, il ne consomme pas d’extasy bien qu’il fréquente des "raves".

‘Le jugement ? "Çà m’a surpris. C’était comme à la télé. Il y avait beaucoup de monde".’

Tout comme Salah, Michel est pris dans une relation de double narcissique. L’acte ne peut pas s’isoler mais est pris dans des liens de confusion entre moi et l’autre. Tout comme Salah, Michel proclame le retour dans le giron familial comme parade à la délinquance. L’éloignement d’une idéologie familiale est source de danger. La scène du jugement l’éveille à des aspirations mégalomaniaques, "comme à la télé" et ne touche pas une capacité à advenir à une position dépressive. Un défaut de contenants de pensées induit de la confusion… Sa recherche de relation anaclitique est un terrain favorable à toutes les manipulations possibles.

Mario, 21 ans, est un beau jeune homme, longiligne, métis aux traits fins. Il s’exprime avec aisance mais manifeste une certaine distance, un désir de maîtrise de la relation. Mario a été placé dès sa naissance en pouponnière, puis a vécu avec sa sœur cadette jusqu’à l’âge de 14 ans chez une assistante maternelle. Cette dernière, quelque soit la qualité des liens de substitution maternelle qu’elle a entretenus avec Mario, demeure une figure maternelle, archaïque et omnipotente en première instance, puis dans une trop grande proximité à l’adolescence par défaut de protection, pour l’un et l’autre, d’une instance tierce.

Sa mère, déchue de l’autorité parentale, traverse la vie comme une ombre. Mario raconte l’avoir observée, caché derrière un poteau d’une galerie d’un centre commercial. Son père, antithèse de cette femme, autoritaire et violent, dirige en despote sa famille composée de son épouse actuelle et des enfants issus de mariages ou de liaisons successives. Mario est descolarisé depuis l’âge de 16 ans alors qu’il avait entamé une seconde générale.

Mario a été condamné en comparution immédiate pour port d’arme, recel de chéquiers et cambriolage à six mois fermes d’emprisonnement, commués en 15 mois lors de l’appel. Il doit encore répondre de nombreuses autres affaires, vols de voiture et cambriolages, d’où plusieurs jugements à venir.. Mario avait évité jusqu’ici la mise en détention malgré l’addition de peines avec sursis.

Nous rencontrons Mario avec Lucile en décembre. Mario doit passer à nouveau en jugement en janvier puis en mars … puis plus tard au fur et à mesure de la clôture des instructions. Il accepte de nous rencontrer autant que nous le jugerons utile. Il a tout son temps étant donné la perspective d’accumulation des peines.

Mario nous parle de ses nombreuses affaires entre l’Italie et la France dont nous ne connaîtrons jamais la teneur. L’Italie, il y est allé plus tôt que la date qu’il a mise sur le dessin de la trajectoire spatiale. Il y a été seul pour des affaires… Je lui demande si quelqu’un lui avait parlé de l’Italie. Il répète : "Non, seul". Reste évasif sur les affaires comme il l’a été lors des rencontres précédentes. Il ne considère pas ses trafics comme des activités délinquantes.

‘" La délinquance, c’est quand on est violent, des bagarres. Dans la délinquance, on ne gagne pas d’argent, çà ne rapporte rien. La délinquance, c’est de la dégradation ou de la destruction gratuite".’

Par cette dernière assertion, on entend son rapport aux délits à Lyon, là où çà ne rapporte rien par rapport à d’autres modes de délinquance sans doute plus organisée dont il a tiré des bénéfices financiers. La violence gratuite représente aussi celle du père envers ses fils, gratuite et imprévisible. Mario estime ses vols comme des erreurs peu lucratives maisil ne s’étend ni sur ces actes, ni sur d’autres plus organisés.

Smaël, 18 ans, vit chez son père avec deux de ses frères et sa sœur depuis la séparation récente de ses parents. Il vit les relations à son père sous une forme de renversement de la parentalité, cherchant à le protéger, lui donnant une partie de son salaire. Smaël est titulaire d’un diplôme de soudeur.

Il achève sa première peine d’emprisonnement, pour vol avec violence. Smael dit avoir commencé des braquages à l’âge de 16 ans sous l’influence d’un homme qui avait un "gros casier". Puis, il évoque un éducateur du quartier avec lequel il est parti en vacances et qui devait venir témoigner lors de son jugement. Les deux autres figures paternelles sont donc le "gros casier", idéal masculin phallique, inaccessible et l’éducateur dans une fonction de protection.

Il vole maintenant quand il a "un coup de folie". Qu’est-ce que ces coups de folie dont il est victime ?

Il a tout d’abord apprécié la prison pour ce qu’elle offrait : télé, frigo et cannabis…. Puis il a réalisé l’enfermement.

Smaël vit en semi-errance à l’extérieur. Il erre dans le quartier occupant rarement le canapé du salon que son père lui réserve.