2.2.3 Les auteurs de délits, récidivistes

Le groupe des multirécidivistes comprend Abdel, Adjib, Lamzi qui a fait l’objet d’une précédente vignette clinique, Malek, Mounir et Mimoun.

Abdel, 18 ans, est originaire d’une ville du sud de la France. Il vient d’être condamné ainsi que son complice à six mois d’emprisonnement, pour flagrant délit de vol à la tire. S’il a déjà fréquenté une autre prison par deux fois (6 mois pour braquage à 15 ans et demi et 3 mois pour vol de voiture) en tant que mineur, il fait sa première entrée aux prisons de Lyon. Pour ses délits il préfère habituellement agir en solitaire et "ramasser l’argent". Il se décrit aussi comme un petit caïd de quartier.

Abdel est l’avant-dernier d’une fratrie de 11 enfants. Il vit chez ses parents ainsi que sa sœur cadette.

Il a été scolarisé jusqu’en 4ème puis ne s’est jamais rendu au lycée professionnel où il était inscrit en CAP plomberie.

Son père a exercé le métier de tailleur de pierre. Actuellement, ce dernier a de graves problèmes de santé qui sont en grande partie conséquents à la pénibilité de son ancien emploi. "Çà me met la rage… çà ne me donne pas envie de travailler", commente-il.

Abdel a parfois travaillé au noir dans le bâtiment. La plupart de ses frères et sœurs travaillent et si ses frères ont eu quelques différents avec la justice, ils n’ont jamais été incarcérés, nous déclare-t–il lors de la première entrevue. Il décrit une famille soudée et une hiérarchie de la fratrie, plus particulièrement des frères qui lui rappellent des peurs d’enfant.

L’insupportable déchéance physique paternelle fragilise ce qui serait attendu d’un lien social. Le caïdat ou l’aspiration à une position de leader lui donnerait une place qu’il ne peut prendre à l’intérieur de la famille, avant-dernier d’une grande fratrie où ses frères détenaient une position d’autorité.

Adjib, 20 ans, est un jeune métis, de père algérien et de mère antillaise. Son physique ne prête pas à une appartenance ethnique marquée, ce qui a induit chez moi une première dénomination d’un prénom français. Ce prénom, François, effet de mon inconscient, fait butée au fait de penser ses origines étrangères et sa négritude. Depuis l’âge de 16 ans, Adjib cumule six séjours en prison pour des délits mineurs mais réitératifs, essentiellement des vols. Aujourd’hui, sa première condamnation en tant que majeur s’élève à 30 mois. Il sera libérable dans un peu plus de deux ans.

Adjib est aîné de trois ans d’une fratrie de deux garçons. Il a été placé à l’âge de six ans, avec son frère dans un foyer municipal, à la demande de sa mère. Ses parents venaient de divorcer et, explique-t-il, sa mère était trop fatiguée pour les garder. Sa mère fait, à cette époque, de nombreux séjours en hôpital et en maison de repos pour dépression.

L’enfance et l’adolescence d’Adjib s’égraine comme une suite de placements et de tentatives de retour en famille, chez son père ou chez sa mère.

Il est tant bien que mal scolarisé jusqu’en troisième. Cette année-là, il fréquente plusieurs collèges et « lâche » sa scolarité. Il est victime d’un accident de voiture alors qu’il conduit une voiture volée ; ceci l’immobilise pendant cinq mois. "L’accident peut résulter d’un compromis entre les pulsions hétéro-agressives et le désir d’autopunition qui l’accompagne : c’est l’accident avec une voiture volée…" écrit M. Manciaux 121 .

Une nouvelle tentative de scolarisation se solde par un échec. Il vivra ensuite dans l’errance à travers la France. Ses passages à Lyon aboutissent systématiquement à une incarcération. Adjib n’évoque pas ses délits. Comme ses errances, ils n’ont pas laissé d’empreintes psychiques mobilisables actuellement, contrairement à son hospitalisation et à un séjourrédempteur en foyer. Le dessin de sa trajectoire spatiale se départit de tout affect au cours de cette période.

Une femme "blanche", tutrice de sa mère, joue un rôle important dans sa vie au cours de plusieurs de ses séjours en détention. Elle envisage de l’adopter mais suite à une nouvelle récidive, elle l’abandonne.

Ces derniers délits sont la conséquence d’une passion amoureuse, illusion et espoir de ressembler au fils attendu par son père dont la charge sans doute trop lourde à porter et à tenir l’a à nouveau conduit dans les méandres de la délinquance.

Malek, 19 ans, approche de sa sortie de prison après un séjour de 11 mois de détention pour vols et recels de vol. Ses deux condamnations précédentes pour des faits similaires ont été de 3 semaines à l’âge de 18 ans puis de 5 mois très rapidement après sa première libération. Il pense que sa première condamnation a été insuffisante car "çà ne lui a pas fait peur, çà ne l’a pas aidé à prendre conscience et à ne pas avoir envie de revenir". La deuxième incarcération a été plus difficile, il en a passé une partie à la maison d’arrêt de Villefranche.

Malek est le second d’une fratrie de trois. Sa sœur aînée et son frère sont scolarisés.

Alors que Malek a 13 ans, son père est licencié. S’ensuit de grosses difficultés financières au sein de la famille et, relation de cause à effet ou non, le divorce de ses parents. Son père est aussitôt reparti vers son pays d’origine. En son absence, ses oncles maternels prennent le relais éducatif sur sollicitation de la mère.

Malek a été scolarisé dans son quartier puis dans une ville limitrophe suite au redoublement de la classe de 3ème. L’absentéisme scolaire et la consommation de cannabis ont débuté lors de sa première troisième. Il a totalement interrompu sa scolarité en milieu d’année de son redoublement et a alors été placé en foyer où il a pu découvrir plusieurs formations professionnelles. Malek ne s’identifie pas aux autres adolescents placés sous seing de justice : " Les autres n’étaient pas comme au collège. Ils faisaient des c… Je n’étais pas comme eux ! " Six mois plus tard, il est renvoyé du CAE pour cause de détention de cannabis et est depuis sans activité

Il explique sa délinquance par la diminution de revenus de la famille liée à la séparation parentale. Avant il ne connaissait pas le manque…

On voit bien chez Malek le double mouvement de retrait dans un premier temps et d’agir antisocial dans un second temps. D’abord, Malek raconte un désinvestissement de sa scolarité qui s’accentue lors de l’éloignement du quartier d’origine et la recherche d’un refuge dans la consommation de cannabis, puis à 18 ans l’apparition des actes délictueux.

Mimoun, 18 ans, d’origine turque est né en France. Il est le troisième d’une fratrie de quatre garçons.

Mimoun est incarcéré depuis 8 mois pour vol avec violence. Il vient d’atteindre sa majorité mais est maintenu jusqu’à sa proche libération dans le bâtiment dévolu aux mineurs. L’éducateur ayant en chargele quartier des mineurs l’aide à préparer cette sortie.

Mimoun cumule six incarcérations, dont le principal chef d’inculpation est le vol : vol de voiture, cambriolages.

Il a connu un premier placement pour raisons familiales à la Cité de l’enfance, à l’âge de 11 ans et y est resté 3 mois ainsi que son frère cadet. Il ne dit pas ce qui a justifié ce placement comme si quelque chose là devait échapper, rester dans l’ombre…

Mimoun a été scolarisé jusqu’en 5ème. "A l’école il y avait des hauts et des bas".

Ce sont des vols à répétition qui entraînent un second placement judiciaire cette fois. Après un renvoi de ce foyer, il passe l’été dans son quartier, et vit un "délire de délits", une course folle entre vols, alcool et cannabis…. Il ne s’est jamais senti aussi bien que cet été- là où il ne connaît pas l’ennui : "C’est le meilleur été que j’ai passé. On volait des voitures tous les jours… On était trois toute la journée ensemble. La nuit on cassait des magasins, on faisait tout. On fumait, on buvait… On était bien, on s’est amusé, on allait se baigner à …" Mimoun ne rentrait pas dormir chez ses parents. "On avait 15 ans, on roulait en voiture… On faisait la fête tous les soirs, on buvait…Tout était bien sauf les huit gardes à vue que j’ai fait sur deux mois…"

Il est placé cette fois en CER après d’autres mesures éducatives non abouties. Son séjour est interrompu par sa première incarcération. Il sera à nouveau incarcéré pour vol de voiture 7 mois plus tard. Cette fois il est condamné à 2 mois de prison. Il sort et reste 3 semaines dehors avant d’être incarcéré pour 4 mois. A sa sortie, ses parents l’emmènent en Turquie pour passer l’été.

A son retour, Mimoun reste dans son quartier pendant quelques mois, il nous raconte des scènes d’agression dont il est l’auteur, en réunion et est à nouveau condamné à 11 mois et demi d’enfermement.

Mounir, 18 ans, est condamné à 6 mois d’emprisonnement pour vol de voiture : "une belle voiture, un rêve de la conduire ! ". S’il est primaire en France, à 16 ans il a séjourné 9 mois dans les geôles de Tunis, écroué « pour meurtre », dit-il en murmurant.
Mounir est le deuxième enfant d’une fratrie de trois. Il a également une demi–sœur d’une première union de sa mère. Il est né d’un couple mixte, de père algérien et de mère française et porte le nom de sa mère car ses parents ne se sont jamais mariés.

Ses parents se sont séparés lorsqu’il avait 15 ans, peu avant son incarcération en Tunisie. Mounir vit avec sa mère et voit son père de temps en temps. Son frère cadet partage le domicile familial alors que son frère aîné vit actuellement avec une amie. Ce frère a déjà été écroué.

Mounir a été scolarisé au collège jusqu’en 3ème générale mais il a dû changer d’établissement pour des problèmes de discipline.

L’été de ses 16 ans, il part en vacances avec un ami tunisien. Au cours d’une bagarre entre deux bandes rivales, un jeune est tué. A son retour de Tunisie, Mounir est orienté vers un institut de rééducation en externat.

Les ruptures se multiplient à partir de l’âge de 15 ans, rupture scolaire et changement d’établissement, divorce de ses parents, emprisonnement à Tunis.

Taïr, 22 ans, est un grand gaillard, encombré par son corps… Son visage, disgracieux, placide, légèrement hébété s’animera au cours de nos rencontres. Il paraît plus âgé que son âge.

Taïr explique ainsi sa demande : "Lors de mon jugement, le juge m'a dit que j'étais asocial … quelque chose comme çà. Il m'a dit cela car j'étais jugé pour violence envers la force publique. Je ne pense pas être violent. Je voudrais savoir si le juge à raison lorsqu'il dit cela ! Dites-moi si le juge a raison puisque moi je ne pense pas être asocial, avoir des problèmes avec l’autorité. Je ne suis pas ce qu'il dit puisque je discute avec vous." Il bafouille : "Je ne suis pas à l'aise devant vous ". Il dira plus tard " comme je n'étais pas clair dans ce que je disais, je pensais que vous pouviez me prendre pour un fou".

Taïr est incarcéré pour la 4ème fois. Le chef d’inculpation actuel est "vol et violences sur agent de la force publique". Il explique ainsi son délit : suite à un vol de voiture, il s'est enfui. Très rapidement rattrapé par la police, il s'est débattu lors de son arrestation.

La précédente incarcération était également due à une violence sur agent : un policier lui avait donné une claque qu'il avait aussitôt rendue. Auparavant, les faits reprochés étaient des vols.

Taïr réitère sa volonté de savoir s'il a un problème avec l'autorité. Ici, dit-il, il n'a aucun problème avec les surveillants : " C'est bien pareil que la police. D'ailleurs, je n'ai rien contre la police. Je ne les cherche pas. En plus lorsqu'ils font un rapport, ce n'est pas très exact".

Je lui demande s’il aimerait changer quelque chose dans ses comportements "J'aimerais ne plus m'amener en prison. Je cesserai de venir quand j'aurai beaucoup d'argent…Voler, je ne fais pas que cela… Je ne suis pas que voleur comme vous n'êtes pas que psychologue, vous êtes aussi mère de famille… Banlieusard, ce n'est pas un métier à temps plein comme ils en parlent tant à la télé..."

Taïr est le deuxième enfant d’une fratrie de deux. Sa famille habite la banlieue lyonnaise. Il a été élevé par ses grands- parents maternels, essentiellement par sa grand-mère, au milieu de ses oncles et tantes et avec sa mère. Il n’a pas été reconnu par son père et porte le nom de sa mère, de sa grand-mère…. Il connaît son père comme un amant de passage de sa mère qui n’a jamais joué un rôle paternel.

Ses grands-parents ont mis les deux enfants en internat dès l’entrée en CP jusqu’en CM2 : "Ils préféraient investir là-dedans plutôt que dans une maison."

Taïr a été incarcéré en tant que mineur à deux reprises. C’est au cours d’un de ces séjours que sa grand-mère est décédée. Puis il a travaillé en intérim comme chauffeur et n’a plus été incarcéré pendant plusieurs années, entre 1997 et 2000. Son frère aîné a fait un rapide passage en prison et travaille maintenant.

Les événements qui ont marqué la vie de Taïr sont la séparation lors de l’intégration à l’internat, selon la volonté parentale dit-il, et la mort tragique d’un de ses oncles.

Notes
121.

Manciaux Michel, L’accident chez l’enfant et l’adolescent in, 1985, Traité de psychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, Paris , PUF, p 155 – 185.