2.3 Le symptôme antisocial : dynamique, économie et topique

En introduction à ce paragraphe, je voudrais réitérer la complexité des tableaux cliniques observés chez les jeunes délinquants : l’acte délictueux ou violent est rarement l’unique symptôme diachronique ou synchronique. Il est souvent précédé de conduites de retrait de l’environnement social et concomitant d’autres pathologies de l’agir et d’autres symptômes régressifs, de repli (la consommation abusives de cannabis complaît la double dimension de l’agir et du repli).

Le premier mouvement de rupture avec le socius passe par l’absentéisme scolaire puis l’interruption de la scolarité. Lors de l’enquête, 28% des jeunes enquêtés ont interrompu leur scolarité en fin de primaire et 23% en fin de collège soit en 4ème ou en 3ème. Par conséquent, 51% n’ont pas poursuivi leur parcours scolaire jusqu’à la fin du collège unique. Marie Choquet et Sylvie Ledoux avaient évalué à 6% les élèves de collège et de lycée souvent absents lors de leur enquête de 1994. Elles relient la faible assiduité scolaire avec un sentiment d’insatisfaction. Nos chiffres ne mesurent pas tout à fait le même item, toutefois, nous pouvons penser à des corrélations et nous sommes largement au-dessus des résultats donnés par ces deux chercheuses. Cette rupture du lien scolaire puis social précède ou va de concert avec l’attaque de ce même lien. Ceci obère toute tentative de réintégration dans un nouvel établissement scolaire : Malek et Mounir rompent définitivement toute scolarité suite à un changement d’établissement.

Au sein de notre groupe d’observation clinique, neuf jeunes n’ont pas conclu le cycle du collège, deux sont entrés en BEP, et trois ont poursuivi leur étude au lycée et parmi eux deux ont obtenu le bac. Ce groupe comporte un plus grand nombre de jeunes en rupture scolaire anticipée que l’échantillon de l’enquête et à l’inverse un nombre non négligeable de lycéens.

L’incarcération précoce, légalement à partir de 16 ans au moment de l’enquête, complique la poursuite de la scolarité : Abdel, Adjib, Mimoun (15 ans ½ lors de sa première incarcération), Mounir, René et Taïr sont dans ce cas. Quant à Ahmid, Lamzi et Mario, ils ont interrompu leurs études sans obtention de diplôme.

La position active de retrait de l’adolescent (absentéisme scolaire, repli sur le quartier) est renforcée par les réponses institutionnelles inadéquates en cette occasion. Face aux manquements du jeune, l’institution se défausse : "l’acte de présence atone" est la seule exigence (métaphore du cancre relégué au fond de la classe sans demande de participation ni au cours, ni aux évaluations de connaissances qu’il est supposé ne jamais pouvoir acquérir) afin d’éviter le renvoi temporaire ou définitif. P. Gutton mentionne le miroir sans tain de la société à l’égard de ces adolescents et ajoute que "la procédure d’exclusion doit être réfléchie dans la psychopathologie de la vie quotidienne (renvoi de l’école par exemple) et dans les sémiologies de l’extrême (emprisonnements), comme une forme de désidentification par rapport aux adultes et…une incitation à construire une classe d’âge sur le modèle d’un regroupement des victimes… (groupe à part)" 122 .

Une deuxième attitude de retrait de l’environnement social se conjugue avec un éloignement de l’univers familial sous forme d’errance qui peut prendre la forme de déplacements à l’intérieur de l’hexagone, de ville en ville comme ce fut le cas pour Adjib ou à travers un pays de prédilection, pour Mario l’Italie mais qui prend aussi des formes plus statiques, plus condensés dans la ville ou l’espace restreint du quartier, Smaël. Ces agirs ne donnent pas lieu à des revendications identitaires de "voyageurs" comme cela est le cas pour d’autres catégories de jeunes 123 .

Pouvons nous restreindre la compréhension clinique à une théorie du passage à l’acte ? Quel sens prend le passage à l’acte dans la psychodynamique adolescente et du jeune adulte dans cette oscillation entre fuite et attaque du socius.

Nous nous attacherons dans ce chapitre à comprendre la dynamique du passage à l’acte, son sens dans ce dialogue qu’il instaure entre Moi et socius, entre altérité interne et l’autre extérieur.

Nous prendrons trois axes d’analyse du rapport du sujet à l’acte délinquant :

Notes
122.

2002, p 180.

123.

Chobeaux François, 1996, Les nomades du vide, Arles, Actes Sud. La population de jeunes en errance qu’étudie l’auteur diffère totalement de la nôtre dans la mesure où elle est principalement d’origine française et issue des couches sociales moyennes. La marginalité est revendiquée. Les jeunes incarcérés affirment plutôt subir l’exclusion, de par leur lieu d’habitation et leur origine ethnique, qu’en être les acteurs.