2.3.3 Nouvelles réflexions topiques

Nous avons précédemment introduit une discussion autour des fonctions surmoïques, de ses transformations au cours de l’adolescence, nous l’envisagerons maintenant au sujet des adolescents antisociaux.

La pensée de Freud sur le lien entre les criminels et le sentiment de culpabilité, d’ors et déjà référencée dans l’analyse de Jean, soutient que le passage à l’acte prend sa source dans un sentiment de culpabilité inconscient qui demande à être puni dans un but masochique. M. Klein abonde dans le sens de Freud en annonçant l’extrême sévérité et le sadisme du Surmoi des délinquants. Alors que Freud avait découvert la permanence psychique de l’objet chez le jeune enfant (le jeu de la bobine) en l’absence de l’objet, iln’avait pas entrevu ce qu’apportera Winnicott plus tard l’impossibilité de se représenter un objet permanent due non à un déficit du sujet mais à l’instabilité de l’environnement. Les carences affectives précoces entravent le "trouvé–créé" de l’objet et l’accession au sens moral :

‘"Si la figure maternelle n’est pas fiable, les efforts constructifs de l’enfant sont vains et le sentiment de culpabilité devient intolérable, l’enfant est inhibé, la pulsion inhérente à l’amour primitif disparaît… lorsque les expériences précoces ont fait obstacles au bon déroulement des processus innés visant à l’intégration, l’unité ne se réalise pas et l’enfant ne se sent jamais totalement responsable 139 ".’

P. Givre commente un texte de F. Redl, La psychologie des bandes 140 , daté de 1946. Il discute non la qualité du Surmoi - fort ou faible- mais l’absence d’intériorisation de celui-ci ou la dissociation de ses fonctions par un dysfonctionnement de la fonction interdictrice.

J-J. Rassial situerait le clivage non pas à l’intérieur du Surmoi individuel mais entre Surmoi individuel et Surmoi collectif. Le Surmoi collectif, n’assurant pas les fonctions de protection du Surmoi individuel, est de ce fait, tout-puissant et tyrannique, véritable figure de leader totalitaire. Cette figure est relayée par un objet externe, le chef de bande, arbitraire, dépositaire de la loi. Nous avons vu comment Salah relègue à son cousin sa conscience morale.

En présence d’un Surmoi tyrannique, le Moi préfère agresser l’autre qu’être agressé et détruit par son Surmoi. Cela ne va pas sans convoquer l’originaire : "l’agressivité contre l’objet et l’agressivité de l’objet est un affrontement spéculaire, une confusion de l’identification primaire entre le Moi "encore indivis" (de l’objet) et l’objet 141 ", écrit J-L. Donnet. Ces rapports au double sont mis en évidence dans la violence, de plus en plus fréquemment suscitée par un échange de regards. Cette violence est engendrée par une perte de la différenciation des espaces psychiques : d’une part l’enveloppe corporelle n’arrête pas le regard qui la transperce, fait effraction et d’autre part la charge agressive supposée du côté de l’autre crée une confusion totale entre Moi/non-Moi.

Cela nous amène à associer sur la pensée de B. Duez : la confusion entre perception et surmoi (archaïque) chez les adolescents antisociaux. Son propos lie perception – Surmoi et passage à l’acte. On verra dans le prochain chapitre comment joue à un autre niveau (dans la représentation de l’environnement immédiat) l’impact perceptif. Pour l’instant, "cela correspondrait à une structuration antisociale où un surmoi hors de mesure conduit sans cesse l’anti– social à d’incessantes mises en acte… 142 " . Ce Surmoi est celui de M. Klein, sévère, tyrannique et persécuteur. La perception est confabulée à un Surmoi archaïque ce qui soustrait au Moi toute fonction intermédiaire, toute capacité à transitionnaliser. "…et le Surmoi ne trouve le terme de son discours que dans l’acte qui passe alors par "le trou" de l’enveloppe externe, par la motricité" 143 . Ici, la marge de manœuvre entre les différents types de spatialité, intrapsychiques et externes et "la respiration des forces qui les habitent" 144 , pour reprendre l’expression d’A. Green, est réduite.

B. Duez 145 se réfère à la notion d’ambiguïté de J. Bleger et en retranscrit la définition:

‘"…nous pouvons définir l’ambiguïté de la façon suivante : a) c’est un type particulier d’identité ou d’organisation du Moi qui se caractérise par la coexistence de multiples noyaux non intégrés pouvant par conséquent coexister et alterner sans impliquer confusion ou contradiction du sujet ; b) chaque noyau de ce Moi granulaire est lui–même défini par un manque de discrimination entre Moi et non-Moi ou pour employer des termes positifs, par une organisation syncrétique. Nous pouvons dire que ces deux caractéristiques sont propres d’un Moi (ou d’une identité) très primitif ou très régressif" 146 . ’

Le Moi et le non-Moi, soi et l’autre sont indifférenciés. Les personnalités ambiguës ou factices sont dans l’incapacité de ressentir un réel sentiment de culpabilité. Les espaces psychiques sont confondus pour le psychopathe. B. Duez ajoute que "…pour sortir de l’ambiguïté, (l’autre) doit posséder un certain nombre de caractéristiques qui conduisent le sujet à croire que l’objet narcissique, engendré par la projection, ne viendra pas l’intruser de l’intérieur". Nous sommes ici en-deçà du Surmoi archaïque de M. Klein.

Les fonctions de l’idéal du délinquant sont tenues par le Moi idéal, transmetteur d’"un savoir jouir pulsionnel rendu accessible 147 ", omnipotent, phallique et issu du narcissisme primaire dont l’image emblématoire est celle du chef de gang.

L’idéal porté par le Sumoi est un idéal transgénérationnel, or pour les personnalités antisociales, comme nous le verrons plus amplement dans le chapitre suivant, la transmission transgénérationnelle fait souvent défaut :

‘"La question du Surmoi culturel se ramène simplement à la façon dont sont investis les idéaux successifs qui sont proposés au sujet, et dont son Surmoi le punit s’il s’en écarte. Ces idéaux ont deux sources bien distinctes. Les uns proviennent du monde qui l’entoure présentement, et qu’il adopte par une succession d’identifications secondaires à des objets investis ou perdus. Les autres proviennent des idéaux des générations précédentes, qui lui sont transmis par voie transgénérationnelles au début de sa vie... Savoir si un individu peut intérioriser un Surmoi postoedipien quand les tragédies vécues par ses parents avant sa naissance ont laissé des traces traumatiques (E. Bizouard) 148 ".’

La césure transgénérationnelle est parfois antérieure à l’histoire de l’adolescent. Nous verrons dans le chapitre II combien de mystères, de fantômes demeurent dans certaines familles autour de l’immigration, des ruptures familiales, d’ombres de fratrie issue d’un premier mariage de la mère ou du père.

Le sentiment d’appartenance à l’humanité est en partie lié à la partie culturelle du Surmoi, sa survivance aux attaques internes est fondamentale pour le sentiment de continuité de l’appareil psychique autour de l’appartenance à l’ensemble des humains. L’effondrement du Surmoi culturel menacerait l’identification à l’humanité.

La clinique du passage à l’acte est très complexe, la compréhension théorique doit faire appel à cette complexité :

  • complexité des relations entre le Moi et l’environnement allant d’une indifférenciation des espaces à l’apparition de l’autre en tant qu’autre spéculaire sur le registre de l’originaire ou encore d’un autre plus différencié mais victime d’un déplacement d’objet où le champ social est porteur d’espoir, d’une attente de réponse.
  • complexité du passage à l’acte compulsif de type addictif où substance psychoactive et violence non seulement se côtoient mais de plus sont interchangeables. L’acte ne prend pas valeur d’événement, reste de l’impensable.
  • complexité de la position du Surmoi, archaïque ou plus élaboré qui impose sa loi tyrannique au Moi dont l’un des saluts est le passage à l’acte.
Notes
139.

L’absence de sentiment de culpabilité in Déprivation et délinquance, 129 – 136, p 133.

140.

2002.

141.

1995, p 80.

142.

1988, p 130.

143.

Idem, p 131.

144.

2002, p 225.

145.

2000, p 68.

146.

Bleger, 1975, Symbiose et ambiguïté, Paris ,PUF, p 208.

147.

Penot B, 2000, p 2.

148.

Diatkine, p 1556.