2.2.1 Le fantasme d’autoengendrement

Outre la question de la pulsion, centrale, au moment de la puberté, la relation aux origines et en particulier à la scène primitive va évoluer tout au cours de l’adolescence jusqu’à l’entrée à l’âge adulte qui est marquée par sa propre possibilité de fonder une famille, d’être soi-même parent (J. Guillaumin), d’être un membre de la chaîne des générations. L’histoire transgénérationnelle traverse l’adolescent bien avant que le jeune adulte puisse rêver une descendance potentielle. Au cours des "questions filiatives" : de quel couple parental suis-je né ? L’adolescent doit abandonner "la théorie phallique du sexe unique" 173 . Le fantasme d’autoengendrement pubertaire libère un temps la psyché de la perte de la toute–puissance infantile.

Que trouvons-nous dans la clinique ?

En s’inscrivant de prime abord sur la page, Mimoun se place dans une position de retournement de l’engendrement comme s’il était à l’origine de la famille. A-t-on à faire avec un fantasme d’autoengendrement ou d’inversion générationnelle ?

Un élan similaire se retrouve, pris dans des dynamiques différentes, chez Jean, Malek, Adjib et Mounir.

Dès l’énoncé des consignes, Malek souhaite s’inscrire sur la feuille : "je marque "moi" ou mon nom ?" Il choisit son prénom et trace deux traits qui le relient à chacun de ses parents. Il gommera à plusieurs reprises la case destinée à son père, qui s’amenuise au fur et à mesure.

La relégation du père maintient ce dernier dans sa position de géniteur et laisse une place privilégiée à l’oncle maternel.

Adjib se note en premier lieu au bas de la page. Son prénom est le point de départ de son arbre généalogique qui tient sur cette pointe. La liste des prénoms de ses frères et sœurs s’aligne derrière le sien.

Quant à Jean, après avoir envisagé un changement de matériel, la feuille A3 semblant réduite au vu de son immense famille. Jean demande : "Je commence par moi ? En haut ? En bas ?… Les dates, çà va être difficile. Pour moi, je connais ma date de naissance mais pas celle de ma mort quoique j’aimerais bien. Ma mère, elle est née entre janvier et avril, elle s’est mariée entre janvier et avril, elle est morte entre janvier et avril."

Jean dessine trois arbres généalogiques de ses trois familles : maternelle biologique, paternelle, maternelle. Il débute systématiquement par le couple grand-parental. En revanche, "MOI" le qualifie à trois reprises. Sur le graphique de sa belle-famille, il trace une enveloppe autour de "Moi" et y joint un point d’interrogation. Cette place en exergue renforce son statut d’unicité et d’exception, renvoyant à ses idéaux grandioses.

Mounir est né d’un couple mixte français – algérien. Il porte le nom de sa mère, ses parents n’étant pas mariés . Son premier mouvement de panique à l’énoncé de la consigne s’ancre sur l’oubli, la confusion et le maintien d’une dimension familiale là où règnent ruptures et discordes : " je ne me souviens pas de tout le monde. Y’en a que j’ai jamais vu. C’est un peu embrouillé, flou … on marque l’âge ?… Comment je fais mes parents ? Ils sont séparés… Je ne me marque pas moi…" L’arbre généalogique de Mounir est composé de deux triangles opposés. La fratrie de Mounir au sein de laquelle il a noté son prénom et son nom forme la pointe commune aux deux triangles. Le triangle supérieur est formé aux trois angles : du père, de la mère et des enfants de la famille nucléaire. Le triangle inférieur reprend la même configuration mais au niveau des groupes familiaux : famille de la mère de Mounir, famille de son père et la fratrie de Mounir. La succession des générations en est altérée, Mounir est à la fois dans une position de descendant et d’ascendant de ses propres parents.

La représentation graphique de Mounir évoque un fantasme d’inversion générationnelle.

L’adolescence se vit dans un premier temps sous le fantasme d’autoengendrement. Ce fantasme persiste ou évolue vers une reconnaissance d’une complémentarité des sexes.

Dans notre clinique, nous repérons deux configurations ; la première s’ancre dans l’originaire alors que la seconde est en cours de transformation quant à la position du Je dans la généalogie.

Notes
173.

P. Gutton .