3. La nomination

La nomination est le second organisateur socio-familial que j’ai retenu. L’acte de nommer un enfant au sein d’une famille articule les héritages transgénérationnels, le désir parental et l’actualité du groupe social d’appartenance.

La polysémie du terme "nomination" offre une multiplicité d’interprétations que "dénomination", substantif de nommer, dans le sens de désigner par un nom, n’arbore pas.

Les définitions du petit Robert offrent un éclairage supplémentaire

Nommer : 1- désigner par un nom ou par un vocable une chose un concept, une personne,’ ‘2- désigner, choisir une personne de sa propre autorité, pour remplir une fonction ,une charge.’ ‘ Dénommer :1- nommer une personne dans un acte,’ ‘2- donner un nom à une personne, une chose.’ ‘ Dénomination : désignation d’une personne ou d’une chose individuelle par un nom.’ ‘ Nomination substantive la seconde définition du verbe nommer . Le dictionnaire en donne trois sens :’ ‘1- Action de nommer quelqu’un à un emploi, à une fonction, à une dignité.’ ‘2- Droit de nommer à un emploi, à une dignité, à un bénéfice.’ ‘3- Le fait d’être nommé.’

"Nomination" signifie l’action de désigner une place à quelqu’un, la reconnaissance de l’acteur de la nomination et in fine, le résultat de l’action, autrement dit, la place qui revient au sujet ou l’assignation du sujet à une place, l’origine de cette assignation (parent, totem, socius…) et l’assujettissement du sujet que nous pourrions entendre sous la forme pronominale, s’assujettir, dans le sens d’un attachement, d’une dépendance. La dépendance suppose l’acceptation de celle-ci.

Les rites d’entrée de l’enfant dans le corps social enseignent sur les processus d’assignation. Par exemple, chez les lapons, le nouveau-né n’est pas immédiatement nommé. Pendant la période transitoire, avant la nomination définitive – on peut penser que les relevailles de la mère ou la sortie de l’infans signent celle-ci – l’enfant est dénommé et renommé à plusieurs reprises. Le prénom trouvé-créé convient le mieux à ce petit d’homme, l’inscrit adéquatement dans une lignée, parmi ses ancêtres.

Jusqu’ici primait en France l’attribution à l’enfant du patronyme paternelle, celui du compagnon de la mère. Au niveau symbolique, le père de la nomination est "l’autre de la mère", "culture" ou "nom du père" ou encore "celui qui appartient à la classe des pères" distinct du père réel ou du père de la réalité, selon les termes lacaniens.

La nomination est un acte conscient et inconscient, porté par le couple parental dans une culture particulière et à une époque donnée. Le sujet reçoit en don sa nomination qui l’inscrit historiquement, socialement et dans le désir et le projet parentaux.

Guide clinique

En inscrivant de manière péremptoire "MOI", Mimoun exclut toute évocation d’un désir parental sur lui et se met dans une position d’autoengendrement mais aussi se soustrait de toute nomination de la part de l’autre. Ce "MOI" signe un acte de clôture.

En revanche, un souvenir survient. Son arrière-grand-père lui prêtait un nom qu’il a oublié et dont il se rappelle avoir été le seul ainsi désigné… Mimoun conserve l’inquiétante étrangeté d’avoir été un jour nommé, le vague souvenir d’une nomination ancestrale, un fragment onirique accompagné de plaisir...

Ce souvenir tiendra lieu de seul acte de nomination puisque le caractère anonyme de l’arbre généalogique de Mimoun témoigne d’une incapacité à nommer et à s’entendre nommer. Le dessin laisse devant un vide de subjectivation de sa préhistoire et de son histoire personnelle, un vide d’affects. L’absence de dénomination patronymique évoque un blanc, une inscription impossible à penser. Inscription de Mimoun dans sa famille ? Dans la filiation ? Dans le socius ?

Quelles sont les identifications à l’agent de nomination, ici l’aïeul, œuvrant entre culture et transmissions familiales ?

Qu’en est-il pour les autres sujets étudiés ? Quels sens donner à ces oublis, à ces absences de qualification nominative ? 185

Qui est l’agent de nomination, quels liens entretient–il avec le socius ? Comment le nom, la nomination sont-ils utilisés comme médium-culture ?

Après un préambule sur les significations culturelles du nom, une première partie exposera les observations et l’analyse des blancs de nomination. Puis une seconde, en prolongement se penchera sur les fonctions de tierceïté du paternel.

Notes
185.

Lors de l’écrou, le nouveau détenu reçoit un numéro. Ce numéro, à rappeler en toutes occasions, sert d’identification. Toutefois, le nom de famille est usité au moment des différents appels. L’usage du prénom est réservé aux proches, cousins ou compagnons du quartier.