3.1. Le blanc patronymique

3.1.1 Significations culturelles du nom

"Le sujet est ce qui se nomme ". Cette citation de J. Lacan évoque la reconnaissance de l’humanité du nouveau-né par la mère, par l’environnement lors d’un acte de langage.

Si nous retournons en Laponie, l’enfant est nommé au sortir de l’infans, la nomination l’inscrit comme être de parole et dans le groupe social.

Le patronyme et le prénom liés l’un et l’autre à l’héritage culturel, détermine socialement le sujet.

‘"Le nom propre… divise le sujet, car lorsque le sujet veut saisir son identité à travers son nom propre il y rencontre une détermination extérieure qui le dépasse et fait obstacle à l’auto-appréhension de son identité. Le nom et le prénom qui l’identifient lui viennent de ses parents et la saisie par ce moyen de son identité le confronte au désir de l’Autre. C’est ce qu’on traduit par nomen omen, le nom fixe la destinée. 186 "’

Le nom et le prénom condensent pour le sujet des désignations sociales et les identifications qui s’y étayent. Mais si les deux nominations désignent le sujet dans son individualité, qu’en est-il du rôle de l’un et de l’autre, du patronyme et du prénom ?

Prenons tout d’abord le patronyme.

Le patronyme s’accorde avec un cadre légal de transmission des noms dans une culture donnée. Il inscrit l’enfant dans une filiation selon les lois qui la régissent dans le groupe humain d’appartenance, est un "classificateur de lignée", selon C. Levi-Strauss.

‘"…la production généalogique, avec tout son travail du nom, a pour résultat d’aider le sujet à maîtriser ces enjeux de regard, à décoller de la fascination. Le nom est une manière de se débarrasser du regard, nous ne sommes plus sous la fascination. La ligne en généalogie se traduit par un nom et cela la situe dans la perspective de l’institution de l’image et de l’imaginaire, du côté de tout ce qui en principe est là pour endiguer le trop de narcissisme  187 " écrit P. Legendre.’

Nous pouvons entendre cette citation de P. Legendre dans le sens de ce qu’A. Green démontre de la symétrie de la relation mère-enfant. L’enfant se regarde dans le visage de sa mère. Par ce jeu de regards s’éveillent du semblable et du différent. Le regard de la mère porte l’union dont il est né, "ne peut en exclure le rappel qu’en y incluant un autre géniteur fantasmatique 188 ". "La mère inclut le père en tant qu’absent", ce faisant elle rompt la fascination mère-enfant et allègue une place vide, un espace libre, un trou dirait J. Lacan.

‘"Le nom propre c’est une fonction volante, si l’on peut dire, comme on dit qu’il y a une partie du personnel, du personnel de la langue dans l’occasion, qui est volante. Il est fait pour combler les trous, pour lui donner sa fermeture, pour lui donner une fausse apparence de suture 189 ." ’

Le nom rattache à l’absent, au manque. Il tend à combler par un code juridique et un attachement culturel la place de l’autre au sein du jeu spéculaire entre la mère et l’enfant.

Quant au prénom, il est porteur à la fois de l’environnement culturel et des rapports que les parents entretiennent avec cette culture.

Les prénoms "identifient clairement leur porteur à une date de naissance, à une collectivité et à une classe d’appartenance. Ils peuvent indiquer un sexe, une ethnie, une idéologie. A ce titre, le processus de la nomination apparaît comme un "modèle réduit" pour reprendre une expression de Lévi- Strauss. Modèle réduit de l’interaction réciproque des deux champs dans un "système socio-mental" 190 écrit Jean-Gabriel Offroy.

Le système socio-mental dont parle J-G Offroy articule les approches psychologique et sociologique d’un phénomène. Le choix du prénom ne peut se penser, être pensé que par une démarche pluridisciplinaire. Le berceau affectif et social que le prénom porte en lui vient assigner le sujet dans sa qualité d’héritier et le prédéterminer socialement. Les remaniements des imagos parentaux pendant l’adolescence suppose la symbolisation de cet héritage.

Le nom et le prénom instruisent le sujet dans un rapport institutionnel, juridique d’une part, dans un projet parental comme objet identificatoire des idéaux parentaux et familiaux d’autre part et enfin comme dépositaire de l’histoire transgénérationnelle avec ses cryptes et ses fantômes.

Notes
186.

Porge E, 1997, Les noms du père chez Lacan, p 16.

187.

1985, p 58.

188.

1977, p 90.

189.

Conférence du 6.01.65, inédit, cité par Porge E, 1997, p 93.

190.

Offroy J-G, 1993, p 28.