2.3 Famille diffractée

Dans cette famille, toutes les branches sont figurées mais juxtaposées, non articulées entre elles. Le dessin de l’arbre généalogique est composé de deux, ou plusieurs graphiques dans le cas d’une famille recomposée, représentant chacun une lignée. Chaque graphique est unilinéaire.

Jean figure une famille en trois parties reproduisant les trois familles auxquelles il se sent rattaché : famille de sa mère biologique, famille de son père et famille de l’épouse de son père. Son père est toujours inscrit sous sa fonction paternelle et jamais dans les différentes places offertes par la complexité familiale.

Le statut social de Jean diffère d’une famille à l’autre.

Salah trace deux arbres généalogiques, famille maternelle et paternelle. Les membres alliés des deux lignées sont reportés deux fois d’une manière différente.

Ces deux jeunes représentent une famille diffractée. Leur situation sociale possède des similitudes : tous les deux sont détenteurs du bac et appartiennent à des familles socialement stables, de fonctionnaires pour Jean, de commerçants pour Salah. 212 La trajectoire sociale familiale est dans les deux cas plutôt sur un versant ascensionnel, qu’accompagne un désir de revanche pour Jean eu égard à la famille de sa mère biologique. Salah, quant à lui, a vite été promu à l’âge de 18 ans chef d’équipe d’agents de sécurité. Il envisageait des études universitaires et l’insertion professionnelle semblait assez bien tracée, comme pour Jean qui attend un emploi de commercial.

Les assises narcissiques de conjugaison des familles d’origine paraissent fragiles. La diffraction offre un clivage salutaire. Ce clivage éloigne la famille paternelle restée dans le pays d’origine pour Salah, tient à distance la famille maternelle biologique d’agriculteurs et de petits fonctionnaires pour Jean dans un souci de préservation narcissique.

Cette configuration peut être rapprochée de la figure du clivage ou schize du lien familial, de P. Roman, "au sein de laquelle toute question adressée au sujet singulier se trouve atomisée selon deux modalités potentielles ; d’une part, dans un retournement sur le sujet de la désorganisation née de la rencontre avec l’objet … et /ou d’autre part, sans que l’une des modalités ne soit exclusive de l’autre, dans une projection sur l’environnement de la diffraction des objets internes, obérant tout travail de liaison au sens d’une inscription généalogique…"

L’inscription généalogique est tronquée, ne peut entendre la complexité des réseaux de parenté dans lesquels le sujet est inscrit.

La famille diffractée n’offre pas un lieu de traitement de la pulsion sexuelle dans la complémentarité des sexes.

Comme dans la configuration précédente, le lien est annulé mais les personnes sont différenciées et non englobées.

Le groupe familial est dédoublé. La "figure du même" porte sur le groupe et non sur les personnes comme dans la famille-perception.

Alors que l’organisation en famille unilinéaire est dictée par le déni et la forclusion d’une lignée, ici le clivage évite toute conflictualité. Le groupe est exogame mais ne produit pas d’allliance, de compromis entre les cultures familiales d’origine.

Notes
212.

Le niveau scolaire et les compétences cognitives ne sont pas exempts de ce type de médiation qui demande d’avoir acquis la notion d’axe orthonormé. Nous ne sommes pas en mesure de le prendre en compte. Toutefois, il est sûr que cette dimension que je mentionne ici par le hasard du rapprochement entre Salah et Jean a sûrement influé sur l’organisation de Michel, le plus en difficulté scolairement.