2.4 Famille cognative

En ethnologie, les représentations précédentes, unilinéaire et diffractée correspondent à deux modes de filiation qui privilégient les lignes d’appartenance. La famille cognative qui est le modèle occidental, le système type-eskimo, combine les liens d’appartenance, filiatifs et de parité, distinguant les frères et sœurs des parents ainsi que les cousins selon leur sexe.

Nous retenons que les deux lignées sont représentées au moins sur trois générations et sont articulées entre elles. La troisième figure de P. Roman, celle de l’idéal familial, "espace potentiel de l’élaboration de la position dépressive familiale" voisine avec une représentation d’une famille cognative. La finalité de la séparation se conçoit dans la création d’alliances exogamiques, d’échanges extrafamiliaux et de capacité de transfert des premiers liens et des deux courants du sexuel : la tendresse et la sexualité sur des "objets adéquats".

Quatre arbres généalogiques pourraient correspondre à cette définition mais chacun différemment se heurte à un écueil à l’intérieur de la représentation graphique.

Abdel dessine un arbre généalogique comprenant quatre générations : grands –parents, parents, enfants, petits –enfants. Abdel en choisissant de faire figurer les enfants de ses frères et sœurs anticipe sa propre capacité à créer un lien généalogique. Il dessine l’arbre généalogique le plus abouti bien qu’il comporte quelques difficultés : superposition des générations par une fratrie nombreuse, non figuration des alliances de ses frères alors qu’il fait apparaître leur descendance.

Abdel, seul, a représenté une famille cognative avec poursuite de la chaîne des générations, a introduit la complexité des relations familiales. Cependant la "horde des frères" produit une descendance sans "échange de femmes". L’arbre généalogique est tronqué du côté des possibles alliances.

Les trois derniers arbres généalogiques sont des configurations mosaïques.

Mimoun transcrit bien une famille sur quatre générations mais en entonnoir, puisqu’un seul enfant apparaît à chaque génération. De l’arrière-grand-père, figure mythique de la famille, les lignées s’échouent sur "Moi".

L’axe vertical est présent mais l’axe horizontal des alliances et du fraternel n’est pas représenté. La famille est réduite à une différence générationnelle sans collatéraux.

René figure une famille bilinéaire sur trois générations. Le hiatus provient du couple de sa sœur et de sa descendance : son neveu en s’intercalant dans la même ligne générationnelle que sa mère défait et déstructure l’harmonie de l’organisation familiale .

La suite des générations ne résiste pas à la nouvelle alliance de sa sœur. Les trois générations antérieures à son neveu sont organisées, la quatrième génération vient détruire un équilibre précaire qui se heurte à de l’impensé, en partie celui de devenir père lui-même.

L’arbre de Mounir est bilinéaire mais confus, les enfants se trouvent enclavés entre deux générations, celle de leurs parents et celle de leurs grands-parents. La possibilité de poursuite des lignées est exclue.

Le télescopage des générations dans le dessin de Mounir classe des générations mais ne les ordonne pas.

Haydée Faimberg nomme "télescopage des générations" une condensation de trois générations qui apparaît dans des identifications inconscientes de patients en analyse. Ce télescopage est produit par le processus d’élaboration du narcissisme. Une partie clivée ou aliénée du moi est identifiée à la logique narcissique des parents. Le premier moment d’amour narcissique tient une fonction d’appropriation, le second moment de haine narcissique une fonction d’intrusion. L’enfant est pris dans une relation d’amour-haine où la haine ne s’adresse pas uniquement à la différence de l’enfant mais à la partie de lui qui porte l’histoire des parents, ceci dans un lien transgénérationnel. Là où la différence des générations rappelle l’écoulement inéluctable du temps, le télescopage des générations inflige un temps circulaire et répétitif.