3.1. Remarques théoriques

Les alliances familiales donnent des indications sur la manière dont le groupe familial traite l’altérité.

Suite à un bref aperçu ethnologique, la notion d’alliance sera introduite au plan psychologique.

Au niveau ethnologique, l’alliance est la base de la famille, sa pierre de voûte. Elle s’établit au sein d’un échange, du don d’une femme à un contre-don de biens, de pacification… L’alliance peut se nouer à l’intérieur d’un même ensemble (endogamie) garantissant ainsi un gain de sécurité ou à l’extérieur (exogamie) en contrepartie d’une expansion des transactions économiques et relationnelles.

C. Lévi-Strauss insiste sur l’obligation universelle de donner priorité aux échanges sociaux sur les trafics familiaux, à l’alliance sur la filiation et à la société sur la famille.

Au niveau psychologique, l’alliance suppose un intermédiaire, un entre-deux, un lien et une qualité du lien. Cette qualité du lien fluctue d’une non-reconnaissance de l’autre à la perception du semblable, de l’humain en l’autre et enfin à la reconnaissance de sa différence, de son étrangeté. L’union pointe la recherche du même, la confrontation à l’étranger passant par l’acceptation de l’altérité. L’alliance dans sa forme la plus achévée est source de conflictualité intrapsychique et intersubjective.

La théorie du lien introduit la question de sa qualité, le traitement des conflits intrapsychiques afférents atteste ordinairement d’un mode d’organisation névrotique: conflits oedipiens, conflits de loyauté 216 .

L’enfant se représente l’union parentale au sein du fantasme de scène primitive qui réunit les deux parents dans un plaisir partagé dont l’enfant est exclu mais surtout introduit une scène de l’origine. Plus tard, l’accès au complexe de castration, signifiant de l’incomplétude de tout humain, spécifie l’obligation du désir de l’autre.

La première alliance est donc celle qui noue les parents.

‘"L’enfant n’investit pas uniquement un membre de sa famille mais un lien, un couple si ce sont ses parents : l’enfant investit la façon dont un autre (le parent) investit un tiers (l’autre parent), et il y trouve un modèle d’identification 217 " ’

Ce lien, union des deux membres du couple, est antérieur à la venue de l’enfant et dépendant de l’environnement familial de l’un et de l’autre.

‘"L’analyse de l’interaction infans-mère ne peut se séparer de la relation du couple : le milieu psychique ambiant qui accueille le nouveau-né a été anticipé par ce milieu relationnel dans lequel évolue un couple, non pas une mère toute-puissante et seule responsable de l’organisation de ce milieu 218 " écrit P. Aulagnier.’

Le couple parental en fondant une famille conçoit une culture familiale nouvelle articulant les héritages des deux lignées, un groupe familial différencié. Par ce fait, la famille confirme ses capacités socialisantes pour l’enfant.

‘"La socialisation ne peut en aucun cas être considérées comme une transmission unilatérale d’un modèle culturel dominateur, en tout cas non négociable. Bien au contraire les conflits susceptibles d’émerger au cours de la socialisation affinent les appropriations et permettent à chacun d’exister parmi les autres 219 ", écrit R Cario’

L’enfant à l’âge de latence concilie les idéaux des deux lignées dans un souci égalitariste en créant un compromis identificatoire. Nous y reviendrons en abordant les récits socialisants.

Revenons à la sène primitive, fondatrice d’une représentation des origines du sujet.

Le fantasme de scène primitive parmi les trois fantasmes originaires : la séduction et le fantasme de castration traite de la conception, de l’origine du sujet. Le fantasme de scène primitive se transforme transitoirement à l’adolescence en scène incestueuse, la scène pubertaire décrite par P. Gutton ou en fantasme d’autoengendrement pour parvenir in fine à une représentation de la complémentarité des sexes.

L’adolescent, par le fantasme d’autoengendrement, attaque la structure même de la famille cherchant à unifier ce qu’il ne peut penser en terme conflictuel. Le fantasme d’autoengendrement anéantit la scène primitive…

‘"…vouloir être l’auteur de soi-même (auto-engendrement), vouloir être l’auteur de sa loi (paranoïa), se prendre pour l’autre ou penser que l’autre s’est pris pour soi (persécution). L’interprétation paranoïaque offrant au psychotique la possibilité de faire l’économie de la référence à l’autre (à tout autre, y compris à ses géniteurs pour penser la question de l’origine), le sujet règne sans partage dans un univers narcissique 220 " écrit F. Marty.’

Au sein d’un processus, cette revendication, temps rassurant d’un retour à l’unitaire pour l’adolescent, à la monade initiale déconstruit et tente à détruire l’existant en vue d’une nouvelle organisation, d’un détruit-créé. La finalité du développement psychique est de penser l’origine dans sa dimension plurielle, porteuse d’altérités. Qu’advient–il ce cette union initiale dans le champ de notre clinique ?

Notes
216.

Alors que le conflit œdipien prend sa source au sein de la triangulation mère-père-enfant, le conflit de loyauté convoque une triangulation familiale et groupale, lignée maternelle-lignée paternelle-sujet.

217.

Eiguer A. 2001, p 41.

218.

"Quelqu’un a tué quelque chose" in Un interprète en quête de sens, Edition de 1991, p 361.

219.

R Cario, p 183

220.

1999, p 112.