4.1.Le complexe fraternel

La littérature psychanalytique n’est pas prolixe en ses débuts sur le fraternel et le groupe fraternel.

Le premier groupe de frères, celui de Totem et tabou, s’assemblent pour tuer le père tout-puissant. De ce premier collectif parricide dépeint par Freud naît une société de parité basée sur les renoncements pulsionnels de chacun et sur la protection apportée par l’ensemble à ses membres. Chaque être social hérite du meurtre initial qui s’inscrit dans la phylogénèse.

Par la suite, Freud pense les relations fraternelles à l’instar de déplacements des relations œdipiennes. "Le complexe familial" subsume la forme élargie du complexe d’Œdipe lorsque la famille s’agrandit par la naissance de nouveaux enfants, rompant ainsi la structure triangulaire existante.

La venue d’un puîné suscite des rivalités et des jalousies pour l’amour de la mère, puis l’amour pour cette dernière peut se reporter sur une sœur ou un frère aîné qui tiennent alors lieu de substitut parental. Les interactions fraternelles sont nombreuses, de séduction, d’hostilité, de rivalité, sexuelles et masochiques.

Dans Psychologie des foules et analyse du moi, Freud précise que la "relation de l’individu à ses parents et frères et sœurs" appartient à la psychologie collective, est un "acte psychique social" par opposition aux "actes narcissiques".

Alfred Adler, membre de la société psychanalytique de Vienne lors de ses préludes, précurseur d’une théorisation des relations fraternelles, s’est préoccupé de l’influence du rang de naissance sur la personnalité de l’enfant.

Plus tard, en 1938, J. Lacan se penche sur les interactions fraternelles dans son article Les complexes familiaux dans la formation de l’individu.

‘"Le complexe est un ensemble de représentations et d’investissements inconscients, constitué à partir des fantasmes et des relations intersubjectives dans lesquelles la personne prend place de sujet désirant par rapport à d’autres sujets désirants… La conception structurale du complexe l’inscrit dans une organisation intrapsychique triangulaire, dans laquelle chaque élément se définit par le rapport privilégié qu’il entretient avec chacun des autres éléments et par le rapport dont il est exclu 226 ".’

Lacan envisage trois complexes successifs dans l’ontogénèse du sujet humain : le complexe du sevrage, le complexe d’intrusion et le complexe d’Œdipe.

Le "complexe de l’intrusion" ou "complexe fraternel" retrace l’expérience de l’enfant lors de la connaissance de "frères". Les jeux identificatoires à l’intérieur de la fratrie se fondent sur la reconnaissance de l’autre comme semblable. Lacan insiste sur cette identification mentale sans laquelle la jalousie et la rivalité puis la séduction et la solidarité ne pourraient s’actualiser et joue un rôle dans la genèse de la sociabilité et de l’humanisation.

La rivalité préœdipienne pour l’amour de la mère, des parents, est antérieure à la rivalité envers le père. Cependant, la maturité psychique de l’aîné détermine le type d’identification, à l’enfant sevré ou au parent attentif.

Le complexe fraternel se construit en terme de fantasmes, d’imaginaires narcissiques ou objectaux adressés à un "autre" ou des autres que le sujet reconnaît comme frères ou comme sœurs. Il est indépendant de la réalité familiale du sujet puisqu’il appartient à une organisation inconsciente.

‘"… le complexe fraternel inscrit dans la psyché la structure des relations intersubjectives organisées par la représentation inconsciente des emplacements corrélatifs qu’occupent le sujet, le "frère", la "sœur" 227 ". ’

Le lien social se constitue à partir du lien à l’autre semblable, de la rivalité primaire et des sentiments d’hostilité et d’amour propres aux liens fraternels.

Des identifications interpersonnelles de l’enfance, l’adolescent passe à des identifications sur le groupe familial et sur le groupe de frères. Le groupe fraternel métaphorise l’éventualité des affiliations. Les travaux de R. Kaës, de Jean-Bernard Chapelier et des thérapeutes familiaux analytiques nous apportent un corpus théorique conséquent sur ce thème.

Notes
226.

Kaës R, 2003, p 13.

227.

Idem, p 14.