4.3 Guide clinique

Et Mimoun, unique et dernier descendant d’une vieille famille anatolienne, s’acoquine sur les hauteurs de Lyon pour de multiple frasques…

La représentation généalogique de Mimoun évince toute fratrie de son arbre généalogique, la sienne et celles des générations précédentes. Au cours des entretiens, il évoque brièvement des souvenirs mettant en scènes ses frères. Mimoun est le troisième d’une fratrie de quatre garçons.

Mimoun se préoccupe de son frère cadet en sollicitant son arrière-grand-père. Lorsqu’il se plaint de son institutrice, son frère aîné la frappe. A l’approche de sa libération de prison, il a l’intention de travailler avec l’un de ses frères. La dernière scène que je qualifie de fraternelle se situe, en dehors de la vie familiale, en bas des immeubles où il est l’objet d’attaques sadiques de la part des grands du quartier.

Deux thèmes sont mis en évidence dans le matériel de Mimoun :

‘"En proposant le mythe d’Œdipe, destin d’un enfant unique, ce que S. Freud tue d’abord, ce n’est pas le père, c’est la fratrie qui éveille colère, frustration et déception envers la mère, puis c’est sur la fratrie que se déploient la haine et la jalousie protégeant la figure des parents… la relation fraternelle représente la condition de la révélation de l’Œdipe : on a des frères pour pouvoir penser (fantasmer) l’Œdipe. Les relations fraternelles sont pour le complexe d’Œdipe les conditions de sa révélation en tant que fantasme 232 ". ’

Si nous suivons le raisonnement de D. Marcelli, la rivalité ne sous-tend pas les liens inconscients de Mimoun à ses frères. Ces derniers ne seraient ni tués ni à tuer mais plutôt déniés, préservant de l’accès aux conflits oedipiens. De plus cette unicité loge Mimoun à l’enseigne de l’élu, unique enfant de sa mère dans son graphique d’une part et l’unique nommé par l’ancêtre, l’arrière-grand-père. Mimoun ne perçoit ni altérité, ni rivalité. Son arbre généalogique relève plus d’un travail de l’originaire. Mimoun vide le ventre des mères, détruit les bébés de toutes les mères, anéantissant ainsi toute généalogie.

J. Chasseguet-Smirgel écrit :

‘"Plutôt que de se référer à la seule différence entre les sexes et les générations comme représentant le roc de la réalité, il conviendrait de penser que la réalité est tout entière la résultante de différence. Le temps, par exemple, peut être considéré comme intervalle existant entre le besoin (ou le désir) et la satisfaction. L’espace implique la prise en compte des différences de situation entre les points qui le comprend. La réalité est constituée par un passage de l’homogénéité à l’hétérogénéité… Examiner le désir de vider le ventre maternel de ses contenus (refaire en sens inverse le chemin qui va de l’homogénéité à l’hétérogénéité) comme objectivation de la lutte du principe de plaisir contre le principe de réalité 233 ".’

En ne figurant que des enfants uniques, Mimoun se refugie dans son monde interne symbiotique.

Mimoun nous a livré peu de souvenirs ou d’associations concernant ses frères. D’un côté, il fait part d’images de relations fraternelles positives. L’attention portée par les garçonnets au récit de l’aïeul transporte le courant tendre des identifications fraternelles. Le souhait d’exercer le même métier que son frère, accuse des idéaux partagés et l’idéalisation de l’aîné par le cadet. Le plus âgé porterait une partie de l’Idéal du Moi.

D’un autre côté, deux scènes de violence font effraction dans cet univers aconflictuel.

La première scène comporte deux étapes, la plainte de Mimoun adressée à son frère et les représailles qui s’en suivent. De prime abord, Mimoun est actif, il porte sa plainte. Dans le second temps, Mimoun est passif, mis en position de voyeur.

Cette scène a la particularité d’être la seule où apparaît une ébauche de triangulation.

Plusieurs interprétations sont envisageables :

La seconde scène de violence concerne les violences subies par les "grands du quartier".

Mimoun clive les liens d’amour fraternels qu’il dévolue à sa propre fratrie et les liens de haine qu’il projette sur des relations fraternelles extra-familiales. mimoun évite le traitement de l’ambivalence des sentiments.

L’étude de la fratrie de Mimoun met en évidence l’illusion que nous pouvions avoir d’une organisation interne structurée de sa généalogie. L’absence de représentation de sa fratrie attaque l’organisation présumée des différences des sexes et des générations.

La relation aux imagos adelphiques livre ici des éléments de dispersion-décomposition d’un groupe interne familial. Il rompt avec une organisation généalogique en structuration. La non-représentation de l’absence se porte sur le fraternel, là où pour d’autres elle portait sur l’objet parental.

Notes
232.

1993, p 240.

233.

Chasseguet-Smirgel J, 1988, p 130.